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La place du temps dans les religions

Nuit des Mots et des couleurs - Février 2015

 

 

1 – LE TEMPS DU CALENDRIER

 

De manière tout à fait surprenante, la première Mitsva, le premier commandement

donné au peuple juif, en tant que peuple, n’est ni lié à la croyance, ni à la prière,

ni aux lois alimentaires, ni même au comportement moral de l’homme.

Ce premier commandement est lié au calendrier.

Alors, que les Hébreux sont encore en Egypte, 15 jours avant leur libération

spectaculaire de l’esclavage, D-ieu institue la fixation du début du mois,

sur la base de l’observation dans le ciel du premier croissant de Lune !

 

Ce sont les premiers mots du Chapitre 12 de l’Exode :

 

« Alors D-ieu parla à Moïse et à Aaron dans le pays d’Egypte en ces termes : Que ce renouvellement de lune soit pour vous, le commencement des nouvelles lunes ; qu’il soit pour vous, le premier des mois de l’année Â».

 

En quoi, est-ce si fondamental ? En y réfléchissant, nous allons pouvoir mieux comprendre la place du temps dans la tradition juive.

Cela, en nous appuyant, ici, sur la lecture du Rav Shimshon Raphaël Hirsch.

 

Concrètement, D-ieu interpelle, les deux dirigeants du peuple juif : Moïse, le Prophète et Aaron, le Grand Prêtre, en leur disant, selon le Midrach : « Regardez dans le ciel, lorsque vous verrez ce premier croissant de lune, ce sera pour vous, le signe que c’est le début du mois Â». Le mois est lunaire dans la tradition juive. Il fait donc alternativement, 29 ou 30 jours. La lune met, en effet, 29 jours, 12 heures, 44 minutes et 2,8 secondes pour retrouver la même place par rapport au soleil (révolution synodique).

C’est ce qui compte pour nous pour l’apparition du premier croissant. Alors qu’elle met 27 jours, 7 heures, 43 minutes et 11,5 secondes pour retrouver sa place par rapport aux étoiles. C’est sur la base du témoignage de deux personnes présenté devant le Tribunal rabbinique et sa validation par la cohérence avec les connaissances scientifiques, avec le calcul donc, que le début du mois peut être proclamé. 

Par temps nuageux, il l’est obligatoirement le 31ème jour, car le calcul est formel. On peut croire ce dispositif d’observation, de témoignage et de validation pour la proclamation, particulièrement fastidieux et archaïque. Cela pourrait être le cas, si au départ, on ne connaissait pas le calcul du renouvellement de la lune.

 

Mais, tel n’est pas le cas. Le Talmud Roch Hachana décrit clairement, l’ensemble des données scientifiques qui permettent justement de valider les témoignages. C’est donc que ce dispositif a bien une autre fonction que celle très technique de la fixation du calendrier.

 

D’ailleurs, en Hébreu, le terme « â€˜Hodech Â» qui désigne le mois, signifie « renouvellement Â».

La lune n’est qu’un accessoire du renouvellement de l’homme. Car, le premier jour du mois, le Roch ‘Hodech qui signifie le début du renouvellement est aussi appelé « Moed Â» qui désigne les fêtes, mais qui dans sa racine indique, en langage moderne, un « rendez-vous Â».

 

Chaque début de mois, l’homme a rendez-vous avec son Créateur. Le renouvellement de la nature est une invitation au renouvellement de la relation spirituelle entre l’homme et D-ieu. Si cela s’inscrit dans le temps, c’est parce que la meilleure expression de l’être de D-ieu, dans sa manifestation vis-à-vis de l’homme, est dans le temps. Le lieu est plus matériel et risque de faire croire que D-ieu peut se limiter à un espace. Même, lorsque le Temple existe, c’est un lieu pour l’homme, pas pour D-ieu.

Le début du mois est proclamé par les hommes depuis le Temple pour bien montrer que c’est dans le temps consacré par l’homme, à cette rencontre, que celle-ci peut se produire. D-ieu est dans le temps. Le tétragramme l’indique, puisqu’il est une contraction du verbe être au passé, au présent et au futur.

 

Certes, le temps divin n’est pas le temps humain. C’est l’homme qui a besoin de ces rencontres régulières. C’est à lui de les fixer.

Ce n’est pas le calcul qui peut imposer cette rencontre. C’est l’homme qui est acteur direct et qui décide du bon moment.

C’est l’homme qui sanctifie le temps, qui le consacre à la rencontre avec D-ieu.

 

Ces temps sont multiples. Il y a :

 

  • Le temps du Chabbat hebdomadaire.

  • Le temps du nouveau mois, tous les 29 ou 30 jours.

  • Le temps des fêtes qui sont toutes autant de rendez-vous collectifs avec D-ieu.

  • Bien sûr, il y a aussi le temps individuel de la prière trois fois par jour.

 

Tous ces temps sont le signe de notre attachement au Créateur.

Mais, c’est à nous de faire le premier pas.

Ce commandement, d’une certaine façon, rend tous les autres possibles, d’où sa première place.

 

2 – LE TEMPS DE L’HOMME

 

De manière générale, on a l’habitude de considérer que le temps de l’homme est rectiligne. Il s’étend sur une période relative, selon les personnes, de la naissance jusqu’à la mort. Les existentialistes, dans le sillage de Jean-Paul Sartre, considèrent que l’individu parcourt la vie avec des valises à la main. Au départ, elles sont vides, puis se remplissent progressivement des faits de notre histoire personnelle, les erreurs et les mauvais comportements les alourdissent, les bonnes actions sont plus légères à porter.

Mais, quoi que l’on fasse, elles nous accompagnent. On ne peut s’en dessaisir, ni s’en débarrasser.

Elles représentent notre passé qu’il faut bien accepter et parfois, subir.

 

L’approche de la tradition juive serait plutôt de l’ordre de la spirale ascendante ou descendante, selon le cas.

Comme Maïmonide l’exprime très clairement à tout moment de sa vie, voire au dernier instant, l’homme a la possibilité d’alléger, ou de supprimer le poids de ses fautes. La faute, c’est le mauvais comportement humain, la transgression des interdits ou le non accomplissement des commandements. Les actes ne sont pas effacés ; c’est la sanction qui risque de les accompagner qui peut être annulée. Certaines fois, la sanction doit être prononcée, parce que l’acte est trop grave et irréparable, mais c’est la culpabilité qui est annulée par l’obtention du pardon.

 

Dans le processus de la Téchouva, la faiblesse de l’homme est prise en compte, mais n’est pas forcément, un enfermement dans le passé et l’histoire. La valise peut être allégée si l’homme s’engage dans un repentir sincère qui s’accompagne ou pas, d’une réparation ou d’une sanction. Dans chaque cas, l’homme a la possibilité de continuer à avancer. Il n’est pas nécessairement tiré vers le bas, du fait de ses erreurs. Il peut revenir en arrière. Ce n’est pas une machine à remonter le temps ; c’est un dispositif de marche en avant par réparation des erreurs de parcours.

 

Dans cette perspective, le temps ne joue pas contre l’homme, mais plutôt pour lui.

 

 

3 – LE TEMPS DU PEUPLE

 

L’histoire de l’humanité est orientée. Depuis le Gan Eden et la sortie de l’homme de ce jardin, l’humanité aspire à y revenir.

C’est ce que l’on appelle l’époque Messianique. Mais, ce n’est pas un retour vers le passé ; c’est une marche vers l’avenir.

Cette avancée se fait dans une double dynamique. D’abord, un éloignement de l’époque du Gan Eden et cette perte de proximité dans le temps s’accompagne par une perte dans la sainteté spontanée. C’est-à-dire, que les descendants que nous sommes sont moins élevés dans la spiritualité.

 

Mais, en même temps, on s’approche de plus en plus de l’ère Messianique. On s’enrichit, de génération en génération, de nouveaux commentaires, de nouveaux dévoilements de sens du texte biblique. Des choses, hier cachées, sont actuellement, à la portée du plus grand nombre. On n’est pas forcément devenu plus sage et plus savant, mais, l’accession au savoir s’est étendue, élargie.

Si la spiritualité n’est pas nécessairement plus élevée, l’étude rationnelle, elle, s’est considérablement développée.

 

Rachi, le grand Maître du Moyen-Âge, incontournable dans l’étude, serait désarçonné s’il revenait dans notre monde.

Si la sainteté diminue, l’étude progresse et se diversifie. Le monde avance, malgré les apparences, vers un avenir que nul ne connaît encore.

 

En s’éloignant de D-ieu, on s’est rapproché de l’étude pour mieux se rapprocher de D-ieu. Le temps est une sorte d’étirement d’un univers où les deux extrêmes vont finir par se rapprocher.

 

À chaque consécration du temps pour y rencontrer le Créateur, c’est une étape de ce rapprochement qui se réalise.

 

 

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