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Histoires Bibliques
2/ L'instauration de la royauté dans la Bible

Novembre 2016

 

 

Après une longue période de troubles et d’absence de pouvoir unificateur

pendant toute la période des Juges, le peuple juif réclame l’investiture d’un roi.

« Aussi, tous les anciens d’Israël se réunirent, allèrent chez Samuel à Rama,

et lui dirent « toi, tu es âgé, et tes fils ne suivent pas tes voies ; donne-nous

donc un roi pour nous gouverner, comme en ont tous les peuples ».

Cela déplut à Samuel de les entendre dire : « Donne-nous un roi pour nous

gouverner » et il adressa une prière au Seigneur. » (I Samuel VIII, 4 à 6).

 

À la lecture de ce texte, on peut être surpris de la réaction négative de Samuel face à la demande du peuple.

La royauté n’est-elle pas inscrite dans la Tora (Deutéronome XVII, 14-15) ? Les commentateurs ont apporté plusieurs explications possibles à cette réaction :

- Tout d’abord, une approche psychologique. Cette demande n’est-elle pas prématurée vis-à-vis de Samuel ?

Ne fallait-il pas attendre sa mort, pour le remplacer par un roi ?

- La demande telle qu’elle est formulée : « Pour nous gouverner, comme en ont tous les peuples » est l’expression du besoin de la masse du peuple et non celle du désir d’accomplir la Mitsva.

- Pour d’autres, enfin, la royauté est une concession à la nature humaine, car elle remet en cause, d’une certaine façon, la royauté divine.

Cependant, D-ieu acceptera leur demande et Samuel désignera Saül comme Premier Roi d’Israël.

 

Pour bien comprendre ce qui se joue dans ce huitième chapitre de Samuel, il faut analyser de façon plus large, la place et le rôle du roi dans l’organisation du peuple d’Israël, dans sa conception biblique. La première notion à examiner, c’est la nature de l’instauration de la royauté. Est-ce un commandement ou pas ?

 

La royauté, commandement ou concession ?

Dans la mesure où la royauté divine est première (voir I Samuel 12, 12), l’instauration même d’une royauté humaine pose question. Comment l’une se situe-t-elle par rapport à l’autre ?

D’emblée, la Guémara donne une première réponse ; en effet, d’après Rabbi Chila : « La royauté sur terre ressemble à la royauté du ciel » (Berakhot 58a).

 

Par la suite, nous verrons que si la royauté divine accepte un retrait pour laisser un peu de place à une royauté humaine, ce n’est qu’à certaines conditions qui font que l’une n’est pas vraiment remplacée par l’autre. Le texte biblique fait apparaître cette ambiguïté et le caractère d’obligation, tout à fait relatif de cette institution :

« Quand arrivé dans le pays que l’Éternel, ton D-ieu, te donne, tu en auras pris possession et y seras bien établi ; si tu dis alors :

« Je voudrais mettre un roi à ma tête, à l’exemple de tous les peuples qui m’entourent, tu pourras te donner un roi, celui dont l’Éternel, ton D-ieu, approuvera le choix. » » (Deutéronome XVII, 14-15).

 

Pour Rabbi Nehoraï : « Le commandement (relatif au roi) n’y figure qu’en prévision des (futures) doléances du peuple.

Le texte dit, en effet (Deutéronome 17-14) : « Tu diras alors : je veux me donner un roi, comme tous les autres peuples qui m’entourent  » (Sanhédrin 20b). Ainsi, pour Rabbi Nehoraï, il ne s’agit là que d’une « permission qui s’accompagne de l’indication des limitations et de la procédure qu’il conviendra d’observer dans l’éventualité, regrettable, où Israël ne se contentant plus du royaume des cieux viendrait à désirer un chef visible qui, marchant à sa tête, combattrait avec lui sur le champ de bataille » (Munk – La Voix de la Thora - Deutéronome). Cette opinion est reprise par Abrabanel, Na’hmanide et Ibn Ezra.

 

Cependant, Rabbi Yehouda pense lui, que c’est un véritable commandement positif : « Trois commandements ont été donnés à Israël à son entrée en terre Sainte : se donner un roi, faire disparaître les descendants d’Amalekh et construire le Temple » (Sanhédrin 20b).

C’est également l’opinion de Maïmonide, du Sefer Ha’hinoukh et Rabbi Ba’hya Ibn Paquda.

 

Ainsi, quoi qu’il en soit, le roi dans la tradition juive, contrairement à d’autres pensées, représente la royauté divine sans pour autant l’incarner. De ce fait, la fonction du roi en sera extrêmement limitée car, a priori, il n’a pas de place. En dehors de la demande du peuple, il ne serait pas nécessaire.

 

Abrabanel, à partir du texte de I Samuel VIII, 5 fait la comparaison avec les rois des autres nations qui doivent remplir trois fonctions vis-à-vis du peuple :

1 - La protection civile et militaire.

2 - La fixation des Lois.

3- L’exercice de la justice.

 

Or, dans la conception juive de la royauté divine, c’est D-ieu qui remplit déjà ces trois fonctions. Le roi humain, lui, n’interviendra pas véritablement dans ces trois domaines :

  • Il ne décide pas seul du déclenchement d’une guerre de conquête ; il lui faut l’accord des 71 membres du Sanhédrin, plus la consultation des « Ourim Vetoumim » qui se trouvent sur le pectoral du Grand Prêtre (voir Sanhédrin 16a-16b et 20b).

  • Il n’est pas législateur, mais il est soumis, comme tout un chacun, à la Loi de D-ieu.

  • Il y a des Juges et des Administrateurs qui sont chargés du maintien de l’ordre à l’intérieur de la nation.

Il a donc un pouvoir relatif qu’il lui faut partager avec d’autres.

 

L’investiture du roi :

Les deux éléments évoqués par le texte du Deutéronome sont :

1- La reconnaissance par le peuple : « Tu pourras te donner un roi », c’est-à-dire que c’est le peuple qui le reconnaîtra en tant que roi,

     qui en fera un roi.

2- Le choix de D-ieu : « Celui dont l’Éternel, ton D-ieu, approuvera le choix ». Il s’agit dans la pratique de l’onction. Le plus souvent,

     ces deux éléments sont bien distincts dans le temps.

 

L’exemple de Saül

À la suite de la demande du peuple adressée à Samuel, D-ieu fait rencontrer Saül au Prophète. Saül est alors un inconnu, c’est un jeune homme de la tribu de Benjamin. « Sa famille installée à Guibéa n’a jamais encore joué de rôle notable dans l’histoire et ainsi, le choix de Saül ne peut susciter de rivalité jalouse » (Neher – L’existence juive).

 

Mais, bien que de condition modeste, il se distingue par ses qualités physiques et morales.

Lorsque Samuel l’oint, il est encore loin de la royauté. Après une onction clandestine, Saül va être préparé par plusieurs rencontres.

Il va apprendre à connaître les multiples facettes des hommes de son peuple ; il devient même prophète et l’on s’en étonne.

 

Lorsque pour la première fois, Saül est proclamé roi, il est choisi officiellement par le prophète dans le cadre d’un tirage au sort qui fait apparaître successivement sa tribu, sa famille, sa personne. Sa désignation est accueillie par une acclamation du peuple : « Vive le roi ! » (I Samuel X, 24), mais cette reconnaissance est encore partielle, car certains dirent : « Quel bien celui-là peut-il nous faire ? Et ils le méprisèrent et ne lui offrirent pas de présents. » (Ibid, 27).

 

C’est en fait, l’attaque de Na’hash, l’Amnonite qui va permettre à Saül de se distinguer militairement et d’être, en fin de compte, vraiment reconnu comme roi.

« Alors Samuel dit au peuple : « Venez, allons à Ghilgal pour y consacrer de nouveau, la royauté » et tout le peuple se rendit à Ghilgal et là, à Ghilgal devant le Seigneur, ils proclamèrent Saül, Roi, là ils immolèrent des victimes rémunératoires devant le Seigneur et Saül et tous les israélites y firent de grandes réjouissances. » (I Samuel XI, 14-15).

 

Si l’onction, la consécration divine, a été la première, elle reste insuffisante si elle n’est pas accompagnée de l’estime et de la reconnaissance du peuple. Par la suite, Saül perdra la consécration divine et pourtant, il continuera à régner jusqu’à sa mort.

 

L’exemple de David

De même, David est un jeune adolescent de 17 ans, lorsqu’il reçoit l’onction des mains de Samuel pour le consacrer comme roi (I Samuel XVI, 12).

David deviendra alors, tour à tour, berger, harpiste du roi, officier du roi, héros militaire, gendre du roi et ennemi du roi.

Ce n’est qu’à la mort de Saül qu’il devient Roi de Juda (II Samuel II, 4), mais, il lui faut attendre l’échec des descendants de Saül pour devenir Roi d’Israël.

« Tous les anciens d’Israël vinrent donc trouver le roi à Hébron ; le Roi David fit un pacte avec eux à Hébron, devant l’Éternel,

et ils le sacrèrent comme Roi d’Israël. David avait 30 ans, lorsqu’il devint Roi. Son règne fut de 40 ans. » (II Samuel V, 3-5).

 

Alors que l’onction était acquise 13 ans plus tôt, David ne devint Roi d’Israël qu’à la suite d’une alliance signifiant la reconnaissance du peuple. À partir de David, la royauté devient héréditaire, mais cela n’empêche pas le contrôle réalisé par l’acceptation du peuple.

D’une certaine façon, c’est le peuple qui désigne et consacre le roi (voir II Rois, XXI-XXIV) dans les premiers temps et, par la suite, ce sera le Sanhédrin qui consacrera le roi, en tant que porteur de la voix de la population. De même, l’onction n’est nécessaire que pour l’initiateur de la dynastie, mais elle peut être répétée lorsqu’il y a contestation.

 

Ainsi, l’investiture du roi appartient-elle au peuple représenté par ses Sages, dans les limites du choix divin. L’onction divine à elle seule, n’est pas synonyme de couronnement, ni un droit divin inaliénable. À tout moment, D-ieu peut reprendre sa bénédiction, comme le peuple peut rompre son alliance avec le roi.

 

Le roi et le pouvoir juridique 

Le roi est, avant tout, un membre du peuple et à ce titre, il est soumis comme tout un chacun, à la Tora. Le seul créateur de lois, c’est D-ieu, lui-même. Les Sages, dans le cadre du Sanhédrin, peuvent émettre des décrets d’application de lois données par D-ieu ou interpréter une loi promulguée par D-ieu, mais en aucune façon, leurs productions ne sont comparables au niveau juridique avec la législation de la Tora.

Le roi est soumis à la Loi. Cela se concrétise de la façon suivante :

« Quand il occupera le siège royal, il écrira pour son usage, dans un livre, une copie de cette doctrine. Elle restera par devers lui, car il doit y lire toute sa vie, afin qu’il s’habitue à révérer l’Éternel, son D-ieu, qu’il respecte et exécute tout le contenu de cette doctrine et les présents statuts, afin que son cœur ne s’enorgueillisse pas à l’égard de ses frères, et qu’il ne s’écarte de la loi, ni à droite, ni à gauche. » (Deutéronome XVII, 18-20).

 

Certes, le roi a des prérogatives qui lui sont spécifiques ; elles sont énumérées dans le texte de Samuel, mais cela ne l’empêche pas d’être soumis à la Loi, comme n’importe quel membre du peuple juif. C’est pourquoi, le texte de la Tora sera recopié sous une forme portable qui permettra au roi d’avoir constamment, une copie des lois à portée de sa main. Le roi, dans la tradition hébraïque, n’a donc pas de pouvoir législatif.

 

Pour ce qui est du pouvoir juridique, il a évolué dans le temps. Le Talmud fait, en effet, la distinction entre les Rois d’Israël et les Rois de Juda (Sanhédrin 19a).

De fait, on voit que David, comme Salomon rendaient la justice. Si ce droit a été reconnu à la dynastie de David (Royaume de Juda),

c’est en raison de leur piété.

Par contre, les Rois du Royaume d’Israël ne pouvaient rendre la justice, dans la mesure où ils refusaient d’être jugés et en raison de leur impiété.

 

C’est cette idée que l’on retrouve dans l’épisode rapporté par la Guémara (Sanhédrin 19a) opposant Alexandre Jannée (- 105, - 79) de la dynastie des Asmonéens et son beau-frère, Rabbi Chimon ben Chétah, Président du Sanhédrin (- 79, - 70 frère de Salomé Alexandra).

On se situe donc avant l’époque de la Michna.

Rendre la justice signifie en fait : juger selon les règles de la Tora et ce droit ne peut être accordé qu’à une personne respectant et accomplissant cette même Tora.

Le pouvoir juridique détenu par le Sanhédrin de 71 membres constitue un réel contre-pouvoir à la royauté.

C’est le Sanhédrin (représentant la nation) qui décide de l’investiture du roi et du Grand Prêtre. C’est également, lui, en concertation avec le roi, qui prend les décisions concernant la politique nationale, la guerre ou la paix. Par ailleurs, un second contre-pouvoir existe, vis-à-vis du roi, pendant toute la période biblique : c’est la personne du prophète. Il est le justicier, le porte-parole de D-ieu et à ce titre, n’hésite pas à invectiver le roi, si son comportement s’écarte de la bonne voie. Bien sûr, cela se traduira par une vie de danger, prêt à subir la colère du roi, mais il agit comme la conscience du roi et vient lui rappeler son devoir.

 

Le roi et le pouvoir religieux 

En dehors de la période hasmonéenne où le pouvoir royal a été détenu par des Cohanim (- 164 à - 63), les deux pouvoirs ont toujours été distincts.

 

À l’époque de Saül, sous l’influence de Samuel, on a rompu avec un pouvoir religieux héréditaire pour le remplacer par l’élection prophétique. Samuel, lui-même, n’est pas Cohen, mais Lévi. Cependant, il remplacera dans ses fonctions, le Grand Prêtre Héli, après sa mort.

 

David, lui, réinstallera le Grand Prêtre comme chef spirituel et, dès lors : « Le clergé jouera presque toujours le rôle de fonctionnaires soumis aux caprices religieux des rois et incapables de réagir contre les perversions du culte du vrai D-ieu » (Neher).

 

Les Cohanim, comme les Léviim sont, en fait, avant tout, les maîtres qui enseignent la Loi à toute la nation et qui exercent un culte sacré. Ils ont donc un pouvoir intemporel et ne possèdent pas de pouvoir matériel, notamment, ils ne peuvent devenir propriétaires fonciers (Deutéronome XVIII, 1).

 

Le pouvoir royal 

Le pouvoir du roi est avant tout, un pouvoir exécutif.

Aux seules fonctions militaires remplies par Saül, David ajoute des fonctions administratives qui font de lui, le réel gouverneur du royaume.

 

David met, ainsi, en place, toute une administration, une organisation financière du fisc et des domaines. Les « citoyens » ne paient pas d’impôts, mais doivent en retour au roi, le service personnel. Il entretient une armée. Le tout est dirigé par un véritable cabinet politique avec ses responsables et ses conseillers, dont nous avons même les noms (I Chroniques XXIII, 33-34).

 

Il se choisit également, une capitale en dehors des territoires des tribus : c’est la Ville de Jérusalem, conquise pour la circonstance,

il y installe son administration et il en fait un centre religieux en y faisant venir l’Arche d’Alliance. À l’époque de Salomon, des « districts territoriaux » seront institués.

 

La réaction de Samuel 

Nous pouvons, maintenant, mieux comprendre la réaction négative de Samuel. Tout d’abord, il semble être d’avis que cette concession est certes, nécessaire, mais pas urgente. Cela d’autant plus qu’en tant que prophète et chef spirituel de sa génération, il aurait pu penser que cette centralité religieuse aurait pu suffire à unir le peuple juif et à le conduire dans le droit chemin, en l’occurrence, en dehors de l’idolâtrie.

 

Par ailleurs, il semble être choqué par la formulation de la demande : « Un roi pour nous gouverner, comme en eurent tous les peuples » (I Samuel VIII, 6) et la description que Samuel en fait est celle d’un tyran (Ibid. 10 à 18) :

- D’abord, il prend les fils pour son armée.

- Il prend les femmes pour en faire des servantes.

- Il prend les champs et les vignes pour sa cour.

- Il se choisit des serviteurs parmi la population.

- Il prend des animaux pour ses besoins.

- Ils ne sont plus libres puisqu’il domine, ainsi, leurs corps.

- Les portes de la Téchouva seront fermées, puisque vous avez choisi un autre roi que D-ieu.

 

C’est pourquoi, après coup, le peuple va rectifier sa demande (Ibid. 19-22).

En effet, il ne s’agit pas d’avoir un roi qui ressemble à ceux des autres nations ; non, il s’agit bien d’avoir un roi pour que le peuple,

l’État ressemble ensuite aux autres États qui ont un chef humain, unique et unificateur.

 

  • Il nous jugera selon la Loi de la Tora et non pas comme les autres rois jugent leur peuple, selon leurs propres lois, qu’ils ont eux-mêmes, décidées et édictées.

  • Il se battra contre nos ennemis et non pas contre les siens, pour se faire un nom et un empire. Il fera nos guerres et les terres qu’il prendra seront nos terres.

 

Une fois ces précisions apportées, D-ieu demande à Samuel d’écouter la voix du peuple, car maintenant, ils ont demandé la possibilité d’accomplir la Mitsva de l’instauration de la royauté. Dès lors, les pouvoirs politiques du roi et les pouvoirs religieux du guide spirituel sont clairement séparés et définis. Le premier roi peut être recherché et nommé.

 

 

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