Histoires Bibliques
4/ Le prophète Elie face à l'idolatrie
Février 2017
La prophétie d’Élie se situe pendant la période du règne du Roi Achav,
septième roi du royaume d’Israël, environ de – 918 à – 896.
Le royaume du Nord sombre progressivement dans l’idolâtrie.
Le Roi Achav épousa Jézabel, fille du roi de Sidon et développa le culte de Baal,
notamment, en lui construisant un temple à Samarie et en y plaçant 450 prêtres
idolâtres.
C’est dans ce climat de déchéance spirituelle qu’apparaît pour la première fois,
un inconnu, venant de Transjordanie sur l’ordre de D-ieu, pour annoncer au roi
qu’il n’y aura ni rosée, ni pluie en Israël, pendant trois ans.
Bien évidemment, cette annonce de famine sut tout Israël va mettre Élie en danger
et sur l’ordre de D-ieu, il se réfugie près du torrent de Kerit, près du Jourdain :
« Tu boiras de ses eaux, et les corbeaux, sur mon ordre, y pourvoiront à tes besoins … Les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande le soir, et il buvait de l’eau du torrent. » (I Rois 17, 4 et 6).
Lorsque l’eau du torrent s’est tarie, il se rendit sur l’ordre de D-ieu à Sarepta où une veuve était chargée de le nourrir.
Ni sa cruche de farine, ni sa bouteille d’huile ne s’épuisait. Par la suite, l’enfant de cette veuve tomba malade et mourut.
Élie, alerté, adressa sa prière à D-ieu et l’enfant revint à la vie. Toute la vie d’Élie est ainsi parsemée de miracles.
Au bout des trois ans prévus, Élie annonce à nouveau le retour de la pluie et propose au roi, une confrontation avec les prêtres de Baal,
au Mont Carmel.
C’est la scène sur laquelle, nous reviendrons plus loin.
Mais, Jézabel, la reine, décide de faire mourir Élie. Pour sauver sa vie, il doit s’enfuir vers le Sud jusqu’au Mont Horev où il a une révélation de D-ieu.
Pendant ce temps, Achav fait la guerre contre la Syrie, puis contracte une alliance avec leur Roi Ben Hadad.
Élie revient sur la scène politique lors de l’affaire de la vigne de Nabot. Ce-dernier ne voulant vendre à Achav sa vigne, sa femme Jézabel paie deux faux témoins pour accuser Nabot d’avoir outragé D-ieu et le roi, afin qu’il soit condamné à mort et exécuté.
Élie intervient alors auprès d’Achav pour lui annoncer sa fin :
« Quoi ! Tu as assassiné et maintenant, tu prends possession ! Ainsi parle l’Éternel : À cette même place où les chiens ont léché le sang de Nabot, ils lècheront aussi le tien […].Eh bien, moi, dit l’Éternel, je susciterai le malheur contre toi, je balaierai tes derniers vestiges,
je ne laisserai point subsister d’Achav, la plus infime créature, ni retraite, ni ressource en Israël. Et sur Jézabel aussi, le Seigneur a dit cette parole : Les chiens dévoreront Jézabel dans le territoire de Jezréel. Ceux d’Achav qui mourront dans la ville seront dévorés par les chiens,
et ceux qui mourront dans la campagne seront la proie des oiseaux du ciel. » (I Rois 21, 19 à 24).
Élie quitte ce monde aussi mystérieusement qu’il y était apparu :
« Ils poursuivaient leur chemin (Élie et Elisée) en conversant, quand tout à coup, un char de feu, attelé de chevaux de feu, les sépara l’un de l’autre et Élie monta au ciel dans un tourbillon. » (II Rois 2,11).
Ainsi, de part en part, la vie d’Élie semble entourée de mystères. On ne sait pas vraiment d’où il vient, il n’est pas vraiment mort.
Dès lors, Élie va apparaître comme celui qui annonce la venue du Messie, qui la précède. « Élie est l’hôte familier des maisons d’études, l’ami des pauvres, le compagnon des malheureux. » (André Neher – Histoire Biblique du peuple d’Israël – page 405).
Son aspect mystique fait de lui le plus proche de tous les prophètes et celui que l’on invoque lors d’une circoncision ou le soir de Pessa’h.
Pour mieux comprendre encore ce tempérament de feu, cette énergie du prophète, nous allons revenir sur la scène du Carmel, notamment, avec l’éclairage que nous en propose André Neher dans L’Exil de la parole :
-
Élie au Carmel :
La scène se situe donc à la fin des trois années sans rosée, ni pluie. Élie vient annoncer le retour de la pluie et veut profiter de cette occasion pour faire revenir Israël vers D-ieu. Aussi, provoque-t-il le peuple et les prêtres de Baal, dans une joute religieuse :
« Élie s’avança devant tout le peuple et s’écria : « Jusqu’à quand clocherez-vous entre les eux partis ? Si l’Éternel et le vrai D-ieu, suivez-le ; si c’est Baal, suivez Baal ! » Mais le peuple ne lui répondit mot. » (I Rois 18, 21).
Visiblement, ces trois années de famine et de sécheresse n’ont pas permis au peuple de prendre conscience de l’inefficience de Baal.
Ils n’arrivent pas à trancher et à choisir entre les deux. Aussi, Élie va-t-il monter une épreuve en forme de démonstration :
« Et Élie dit au peuple : « Je suis resté, moi, seul prophète de l’Éternel, tandis que les prophètes de Baal sont quatre cent cinquante.
Qu’on nous donne deux taureaux : ils en choisiront un pour eux, le dépèceront, l’arrangeront sur le bois, mais sans y mettre le feu.
Alors, vous invoquerez votre dieu et moi, j’invoquerai l’Éternel ; le D-ieu qui répondra en envoyant la flamme, celui-là sera le vrai D-ieu ». Tout le peuple s’écria : C’est bien dit. » (II Rois 18, 22 à 24).
Ainsi, la démonstration est claire. La flamme descendante représentera l’expression de la divinité. Celui qui s’exprime existe et celui que ne s’exprime pas, n’existe pas.
Du côté des prêtres de Baal :
« Ils prirent le taureau qu’il leur avait laissé choisir, l’accommodèrent, invoquèrent Baal depuis le matin jusqu’à midi, en disant :
« Ô Baal, exauce-nous ! ». Mais, point de voix, point de réponse, et ils se démenaient toujours autour de l’autel qu’on avait dressé.
Sur le midi, Élie les railla, disant : « Criez plus fort, puisque c’est un dieu, quelque affaire l’occupe, une expédition, un voyage …
Peut-être dort-il, il s’éveillera ». Ils appelèrent à grands cris, se tailladèrent, selon leur coutume, à coups d’épée et de lances, au point que le sang ruisselait sur eux. L’heure de midi écoulée, leurs transports continuèrent jusqu’au moment de l’oblation, mais nul écho,
nulle réponse, pas un signe. » (II Rois 18, 26 à 29).
Ce silence serait-il le signe de l’absence de réalité de la divinité ? Les idolâtres n’étaient-ils pas capables de comprendre qu’une idole ne peut parler, qu’elle n’est qu’une statue de bois ou de pierre ?
Mais, cette lecture est en fait, trop simplificatrice comme l’explique André Neher :
« Les adorateurs du Baal n’étaient pas des abrutis ridicules. Ils disposaient d’une expérience longue, enrichie par un rituel complexe et efficace qui leur permettait d’attendre que le Baal parlât, comme il l’avait toujours fait jusqu’ici ».
Que cette parole soit de l’ordre du subterfuge, de l’ordre de l’imaginaire, n’enlève rien à la réalité de cette parole même si, comme le dit André Neher :
« Cette parole n’est qu’une parodie de la parole réelle, tout autant que son silence n’est qu’un pseudo-silence … Elle parle, certes, vous pouvez même miser gagnant sur sa parole, mais lorsqu’elle parle, tout se passe comme si elle ne parlait pas » (L’Exil de la parole – page 86).
Tout, ici, est factice, comme cette idole faite de mains d’homme qui ne peut jamais rester qu’un pantin sans jamais devenir un être à part entière. Face à ce silence de l’idole, Élie va faire parler D-ieu :
« Élie rétablit l’autel renversé de l’Éternel. Il prit, à cet effet, douze pierres, selon le nombre des tribus des enfants de Jacob, à qui la voix de l’Éternel avait dit : « Israël sera ton nom ». Et il érigea avec ces pierres, un autel dédié à l’Éternel, et il pratiqua tout autour, une tranchée de la contenance de deux mesures de grains. Puis, il disposa le bois, dépeça le taureau, le plaça sur le bois, et dit : « Emplissez d’eau quatre cruches et la répandez sur la victime et sur le bois ! ». Il ajouta : « Encore ! ». Et l’on obéit ; « Une troisième fois ». Et l’on obéit.
L’eau ruisselait autour de l’autel, et la tranchée même, on l’avait remplie d’eau. À l’heure de l’oblation, le Prophète Élie s’avança en disant : « Éternel ! D-ieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël ! Qu’il devienne manifeste aujourd’hui que tu es la Divinité d’Israël, que je suis ton serviteur, et que c’est par ton ordre que j’ai fait toutes ces choses. Exauce-moi, Seigneur. Exauce-moi, afin que ce peuple reconnaisse que c’est toi,
le vrai D-ieu, et tu auras ainsi, amené leur cœur à résipiscence. Le feu de l’Éternel jaillit alors, consuma la victime, le bois, les pierres,
la terre et absorba l’eau de la tranchée. Tout le peuple, à cette vue, tomba sur sa face et s’écria : « L’Éternel est le vrai D-ieu ! L’Éternel est le vrai D-ieu ! ». » (II Rois 18, 30 à 39).
Ainsi, la démonstration est faite. D-ieu a parlé. Il a exprimé son existence par ce feu, alors que Baal, par son silence, a démontré son inexistence.
D’ailleurs, ici, tous les symboles nécessaires sont présents pour renforcer la démonstration :
-
Les douze pierres, par rapport aux douze fils de Jacob. Élie en profite pour rappeler l’unité du peuple juif, séparé par le schisme,
-
mais qui ont tous le même ancêtre.
-
Le rappel du passage du nom Jacob, celui qui est foulé, à Israël, celui qui est victorieux.
-
L’eau qui est susceptible d’éteindre le feu et de l’empêcher de prendre pour rendre le miracle encore plus clair et probant.
-
L’appel fait au D-ieu des Patriarches qui vient rappeler l’origine et l’histoire d’Israël et son attachement à ceux qui furent les hérauts du vrai D-ieu.
-
Le miracle, lui-même, qui est l’expression de la présence et de l’existence divine par la démonstration de sa parole.
Mais, en même temps, face à cette démonstration, s’élève une question que l’on ne peut éviter de poser et qu’André Neher formule ainsi :
« Et si ce doigt (de D-ieu) n’était pas apparu ? Si au lieu de répondre par le feu, D-ieu, le vrai D-ieu, l’Éternel, le D-ieu vivant s’était drapé,
lui aussi, comme le Baal, comme l’idole inerte, dans le silence ? Que ce serait-il passé ? » (L’Exil de la parole – page 88).
La clé du problème se trouve, d’après André Neher, dans le chapitre suivant, dans le chapitre 19. Car, en fait, ce miracle,
cette démonstration n’a rien changé.
« Le monde est-il désormais converti et s’est-il rendu à l’évidence ? Certainement pas le peuple … Ni Jézabel … qui s’obstine dans son impitoyable incrédulité et menace le prophète de mort, comme si rien ne s’était passé, la veille, au sommet du Carmel. » (L’Exil de la parole – page 92).
On a du mal à y croire, mais malgré la démonstration, rien n’a changé et pourtant tout semblait clair.
« C’est le seul moment où l’existence de D-ieu se démontre à vif, où la Bible invite le lecteur à prendre connaissance d’une expérience pratique dans laquelle, en quelque sorte, D-ieu joue le tout pour le tout. » (L’Exil de la parole – page 90).
Dans la scène du Carmel, par ce défi lancé au Baal :
« Élie met D-ieu au pied de Son propre mur … Si le miracle se réalise, la preuve sera donnée de l’existence de D-ieu et s’il ne devait pas s’accomplir, la preuve serait faite que ce D-ieu n’a pas d’existence. » (L’Exil de la parole – page 90).
Mais, malgré la démonstration, malgré l’évidence de l’intervention de D-ieu, rien n’a fondamentalement changé, si ce n’est de façon ponctuelle, la mort des 450 prêtres de Baal. D’où la réponse d’André Neher à la question : « Que ce serait-il passé, si l’Éternel n’avait pas répondu ? » – « Rien ne se serait passé » (L’Exil de la parole – page 92).
On va le voir. En fait, cette scène constitue un tournant dans la vie et l’expression du prophète Élie. Jusqu’au Carmel, Élie se place dans l’action, dans la déclaration tonitruante, par les trois années de sécheresse, par la guérison du fils de la veuve de Sarepta.
À partir du Carmel, Élie va passer dans une phase mystique de sa vie, par la méditation, l’étude et le silence.
Il quitte la scène politique pour se diriger vers le Horev, la montagne où D-ieu s’est révélé à Moïse.
Au Horev, il a une nouvelle révélation de l’être de D-ieu :
« Là, il entra dans une caverne où il passa la nuit. Et voici que la voix divine s’adressa à lui disant : « Que fais-tu là Élie ? ».
Il répondit : « J’ai fait éclater mon zèle pour toi, Seigneur, D-ieu Tsébaot, parce que les enfants d’Israël ont répudié ton alliance, renversé tes autels, fait périr tes prophètes par le glaive ; moi seul, je suis resté, et ils cherchent aussi à m’enlever la vie ».
La voix reprit : « Sors, et tiens-toi sur la montagne pour attendre le Seigneur ! Et de fait, le Seigneur se manifesta. Devant lui, un vent intense et violent, entrouvrant les monts et brisant les rochers, mais dans ce vent, n’était pas le Seigneur. Après le vent, une forte secousse : le Seigneur n’y était pas encore. Après la secousse, un feu ; le Seigneur n’était point dans le feu. Puis, après le feu, un doux et subtil murmure. Aussitôt qu’Élie le perçut, il se couvrit le visage de son manteau et alla se placer à l’entrée de la caverne, et une voix lui arriva qui disait : « Que fais-tu là Élie ? » (II Rois 19, 9 à 13).
Ainsi, la présence de D-ieu peut-elle s’exprimer dans « La voix du silence ténu ». Ou comme le dit André Neher :
« La seule voix (véritable) de D-ieu, c’est son silence. » (L’Exil de la parole – page 93).
En effet, le silence est porteur d’une dimension beaucoup plus incommensurable que les éléments. D’où ce renversement des valeurs par rapport à la scène du Carmel : « Le silence n’est plus le signe de la colère divine ou de son refus ; il exprime la Présence divine autant et mieux que la parole. » (L’Exil de la parole – page 95). Et D-ieu aurait pu ne pas répondre au Carmel sans pour autant cesser d’exister ou signifier son inexistence. Si D-ieu parle au Carmel, c’est à la demande expresse d’Élie.
Mais, dans la scène suivante au Horev, il vient lui expliquer que le silence est plus expressif de l’être de D-ieu que sa parole.
C’est à partir de cette période, qu’Élie va, lui aussi, entrer dans le silence. Il devient, dès lors, le maître, le référent que l’on consulte dans l’étude, plus que l’homme d’action qui intervient dans la politique de l’État.
Par ce double message, il est parfois assimilé à Pinhas, ce fils d’Aaron qui intervient pour sauver Israël de l’épidémie en frappant Zimri de sa lance et ce compagnon des Sages qui viendra éclairer l’étude des textes et précéder la venue du Messie.
Élie est l’exemple typique du prophète qui tente d’avoir, à la fois, un rôle politique et un rôle spirituel et mystique.
Il vient contrer le roi sur son idolâtrie. Il tente de ramener le peuple en masse, par la démonstration du Carmel, à la Croyance en D-ieu.
Il essaie, ensuite, de multiplier les disciples porteurs de cette fidélité en D-ieu par le développement de la mystique et de l’éducation.
De tous temps, l’ennemi d’Israël, c’est le développement de fausses valeurs qui finissent par éloigner Israël de son identité.
Le prophète a cette fonction de retour vers D-ieu, de Téchouva, seule, annonciatrice de rédemption.
