La prière
2/ Miroir de l'âme
Juin 2018
La notion de Téfila désigne dans la littérature rabbinique, systématiquement,
la prière dite debout (Amida ou encore Chemoné Essré).
Or, ce terme de Téfila vient du verbe « Lehitpalel » qui signifie en premier lieu
« se juger soi-même ». On est donc assez loin de la notion de demande proprement
dite que désigne en Français, le vocable « prier ». Comment comprendre ce décalage
entre ces deux univers sémantiques ? Cela, alors même que le cœur du texte, soit 13
des 19 bénédictions composant la Téfila, est justement composé de demandes.
En fait, toute prière dans la tradition juive, est constituée de trois parties, organisées
dans l’ordre suivant :
Des louanges.
Des demandes.
Et des remerciements.
C’est ainsi qu’est agencée la « Amida » : 3 louanges, 13 demandes, 3 remerciements.
Par ailleurs, comment demander à D-ieu ce qu’il n’a pas décidé spontanément de nous
donner ? Soit, nous le méritons et, naturellement, nous devrions avoir ce qui nous manque, soit nous ne le méritons pas et, dans ce cas, comment une simple demande, même sincère, pourrait nous le faire obtenir ? D-ieu n’est ni versatile, ni influençable.
Dans ces conditions, qu’est-ce qui peut le faire changer d’avis ?
Enfin, pourquoi souhaite-t-il la prière de l’homme ? Cela ressort très nettement de la prière pour la pluie de Adam.
Comme l’indique le texte : « Or, aucun produit des champs ne paraissait encore sur la terre, et aucune herbe des champs ne poussait encore, car l’Éternel-D-ieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et d’homme, il n’y en avait pas pour cultiver la terre. » (Genèse II, 5).
Les végétaux sont créés par D-ieu, le 4ème jour, l’homme, le 6ème et pendant tout ce temps, rien ne pousse, comme le dit Rachi :
« Parce qu’il n’y avait pas d’homme pour cultiver la terre et pour apprécier le bienfait de la pluie. Lorsque l’homme est arrivé, il a compris que le monde avait besoin de pluie et il a prié pour la pluie. La pluie est tombée et a fait pousser arbres et végétaux ».
Pour répondre à l’ensemble de ces questions, il faut comprendre que la réponse de D-ieu fonctionne en miroir avec notre propre attitude, notre propre comportement. Si l’homme change, alors il est possible que le décret divin change. Le précédent décret correspondait à l’homme d’avant le changement. Après ce dernier, c’est d’un autre homme dont il s’agit. Or, c’est par la prière que l’homme a la possibilité de changer son statut moral, cela de différentes façons.
Tout d’abord, le fait même de demander nécessite la prise de conscience que tout vient de D-ieu. Que l’homme dans le besoin n’a pas vers qui d’autre se tourner, que vers le Maître du Monde qui a tout créé pour son bien. Cela nécessite un repositionnement de l’Ego.
Mais, la demande ne peut venir seule.
C’est pourquoi, il y a un avant et un après.
L’avant, c’est la louange. Or, c’est l’homme qui a besoin d’énoncer cette louange, pas D-ieu de l’entendre.
L’homme a besoin de se pénétrer de la Grandeur de D-ieu, sous toutes ses formes pour savoir à qui il adresse sa demande.
De même qu’il a besoin, après sa prière, de remercier pour ce qu’il a reçu, ce qu’il reçoit et ce qu’il recevra.
L’homme a besoin de s’imprégner de la bonté de D-ieu, même s’il n’est pas en mesure de la percevoir dans l’immédiateté.
D-ieu répond toujours à la prière sincère, mais sa réponse ne correspond pas nécessairement à notre attente basée sur notre vision partielle du temps et des intentions divines. C’est pourquoi, nous devons affirmer notre gratitude, même si on n’est pas en mesure de comprendre dans l’instant, le bien fondé de la réponse divine. Il peut contrecarrer nos plans pour nous faire accéder à un avenir meilleur.
Il ne nous est pas toujours permis de comprendre le sens de la réponse divine à notre demande.
Cependant, cette démarche n’est pas suffisante pour générer un profond changement. Celui-ci passe par une vraie confrontation avec le texte même de la Amida. Où en sommes-nous dans l’adhésion à ce que nous exprimons ? Sommes-nous entiers avec les mots mêmes de la prière que nous énonçons ?
Pour bien comprendre cet examen de l’âme, évoquons les catégories énoncées par Rav Ba’hya Ibn Pakuda dans son Ouvrage ‘Hovot Halevavot (Les Devoirs du Cœur) à propos de la confession de l’unicité de D-ieu.
Pour les uns, ce ne sont que des mots. Ils entendent dire une chose et la répètent sans rien y comprendre.
D’autres y participent par la langue et le cœur ; ils suivent la tradition des pères. Mais, ils ne saisissent pas clairement la signification de cette unité dont ils reçoivent le dépôt. D’autres encore, la confessent en comprenant le sens de ce qu’ils proclament, mais ils confondent cette unité avec toutes celles qui sont créées. Ils en arrivent à matérialiser D-ieu, à lui attribuer forme et ressemblance, faute de connaître en vérité, l’être et l’unité du Seigneur. Les moins nombreux reçoivent l’unité divine en leur cœur et la proclament par leurs paroles, ayant compris ce qui distingue l’unité réelle de l’unité métaphorique. Ils ont la certitude de l’existence du D-ieu Un. Ceci est le plus parfait.
C’est pourquoi, j’ai dit que lorsque l’homme a connu, grâce à des preuves certaines et logiques, la réalité de D-ieu, son cœur et sa langue doivent être à l’unisson pour confesser l’unité du Créateur (Portique 1, Chapitre 1).
Pour celui qui prie, chaque mot, chaque concept doit être l’occasion de se « juger soi-même ». Suis-je en phase avec ce que je dis ?
Mon cœur est-il à l’unisson avec ma langue ? C’est dans ce sens que la prière constitue un miroir de l’âme. Il nous appartient de nous regarder en face et de répondre à ces questions. C’est en y répondant le plus sincèrement possible, qu’on est en mesure d’évoluer, de changer, de progresser. Or, c’est bien ce changement qui est attendu par D-ieu. C’est une manière de progresser dans notre partenariat avec le Créateur et en améliorant notre proximité avec D-ieu, de mieux profiter de ses bienfaits.
Comme nous l’avons dit, D-ieu reste libre de ses réponses en fonction de paramètres que Lui seul connaît. La Amida, tout en restant prière, c’est-à-dire, demande est aussi, un dispositif de progression relationnel.
C’est dans cet esprit qu’il est important, non seulement, de comprendre ce que l’on énonce, mais également, d’avoir conscience des messages qui sont véhiculés par ce texte. Il demande, au-delà de l’intention, de la concentration, de la sincérité, que l’on se regarde en face dans ce miroir de l’âme pour s’approcher au plus près du Créateur.
L’étude qui suivra sur ce site, vous proposera justement, de revisiter le texte de la Amida, afin de mieux comprendre ce que nous énonçons trois fois par jour et à se mettre en condition d’utiliser cet effet « miroir de l’âme » de ce texte.
À suivre …
