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Les causes de la violence des jeunes et des adolescents

Conseil National FSJU - Juin 2011

 

 

Au-delà du phénomène de société, des paramètres de contexte d’émergence

de la violence, il nous a semblé opportun d’élargir notre réflexion en sollicitant

le texte biblique à ce propos. Non pas que l’on pense y trouver telle quelle,

la description d’une scène actuelle, non pas qu’il évoque a priori des situations

proches des faits divers. C’est pour nous, par sa richesse plutôt une manière

de prendre du recul, de la distance pour en extraire des analyses, des éclairages

ensuite transposables dans notre vécu contemporain.

 

C’est à partir de ces concepts que l’on pourra revenir à la situation pédagogique et examiner comment la transposition peut se faire,

afin d’être en mesure de prévenir, autant que faire se peu, la violence et en évitant également de la provoquer.

 

Notre texte d’appui se trouve dans le Livre de la Genèse au chapitre 37. Le Patriarche Jacob accorde une préférence évidente à son fils Joseph qu’il pressent comme son successeur spirituel. De fait, son père Isaac et son grand père Abraham ont du choisir parmi leurs enfants, celui qui serait son continuateur. Jacob ne sait pas encore que c’est l’ensemble de ses douze fils qui va prolonger son message et pas un seul. Ce faisant, il lui offre une tunique bigarrée.

Selon le commentateur Ovadia Sforno du Moyen-Âge, cet habit ressemblait à une tenue d’Arlequin faite de la réunion de morceaux de tissus de couleurs différentes. Une belle image de ce que doit être la fonction du chef, l’union des particularismes.

 

Bien évidemment, ce message ne plaît guère à ses frères, plus âgés pour la plupart. Le texte s’exprime ainsi :

 

« Ses frères, voyant que leur père l’aimait de préférence à eux tous, le prirent en haine, et ils ne pouvaient lui parler en paix Â» (verset 4).

 

Vous connaissez la suite : les rêves de Joseph, pour ses frères, ne font que corroborer le message parental et cela débouche sur la violence. On évite le fratricide de justesse et Joseph est vendu comme esclave à une caravane de marchands qui passait par là.

 

La cause majeure de cette violence, c’est la distinction, alors que tous sont frères et devraient être considérés à part égale.

La préférence rompt la fraternité première. Tout se passe comme si Joseph n’était plus le fils de Jacob.

Bien sûr, il y a des raisons à cette distinction : le fait que Joseph – comme le dit le texte – soit le fils de la vieillesse de Jacob, qu’il soit le fils de Rachel, la femme aimée dès là première rencontre, qu’il lui ressemble physiquement et spirituellement, mais comme on l’a vu, l’apparente nécessité du choix.

 

L’AVENTURE DU DIALOGUE

 

Tout ceci peut expliquer l’édification de la jalousie, mais il nous semble qu’il y a un basculement qui laisse présager la violence, à la fin du verset, à travers l’expression suivante :

 

« Ils ne pouvaient lui parler en paix Â».

 

Le dialogue authentique est devenu impossible. Rachi commente :

 

« Ils ne pouvaient pas dire quelque chose et penser à autre chose Â».

 

Ils ne peuvent pas être eux-mêmes et honnêtes dans le dialogue. Or, le dialogue nécessite l’accueil de la parole de l’autre, être prêt à l’écouter parce que l’on considère que ce qu’il a à dire est important pour nous, pour l’avancée de la réflexion et du partage d’idées.

Le face à face verbal devient affrontement et peut dégénérer en violence. La jalousie ajoutée à leur honnêteté les empêche de se parler pour ensemble construire la paix, c’est-à-dire, ici, pour construire ensemble, la plénitude de chacun. Le mot paix « Chalom Â» étant de la même racine que « Chalem Â» qui signifie « plein Â». Or, il n’est pas si facile que cela en se parlant, de rechercher la paix.

Il faut être capable d’entrer dans un dialogue et ne pas laisser se juxtaposer deux monologues, ce que l’on appelle communément,

un « dialogue de sourds Â».

 

On retrouve cette liaison entre langage et violence dans la scène précédant le meurtre d’Abel par Caïn. Caïn est jaloux de son frère Abel, car son sacrifice à lui a été agréé, alors que le sien ne l’a pas été et le texte nous dit :

 

« Caïn parla à son frère Abel ; mais il advint, comme ils étaient aux champs, que Caïn se jeta sur Abel, son frère et le tua Â» (Genèse IV, 8).

 

Les deux frères se parlent, mais ils ne dialoguent pas. Ils s’affrontent dans une joute verbale. Le Midrach évoque trois sujets possibles de disputes, qui sont les trois problématiques des affrontements inter-humains : les questions économiques, idéologiques et passionnelles. Mais volontairement, le contenu de leur discussion ne figure pas dans le texte biblique. Il n’y a pas d’échange, il n’y a pas de prise en compte à travers sa parole, de la personne de l’autre. Ils ne recherchent pas ensemble le Chalom.

 

Dans l’histoire de Joseph, le texte est explicite. Ils ne peuvent plus se parler « vers la paix Â» (le Chalom en hébreu) et non pas comme nous l’avons traduit provisoirement « en paix Â» (béchalom). En effet, il y a lieu de faire la distinction entre les deux expressions comme nous y invite le Talmud Berakhot 64a :

 

« Rabbi Avin le Lévite a dit : « En quittant un ami, on ne doit pas lui dire « Va en paix Â», mais « Va vers la paix Â».

Jéthro a dit à Moïse « Va vers la paix Â» (Exode IV, 18). Moïse partit et tout lui réussit.

Tandis que David a dit « Va en paix Â» (II Samuel XV, 9) à Alsalom, ce-dernier partit et se pendit accidentellement Â».

Rabbi Avin le Lévite a dit aussi : « En se séparant d’un mort, on ne doit pas lui dire « Va vers la paix Â», mais « Va en paix Â» ;

et il cite « Toi, tu iras en paix vers tes pères Â» (Genèse XV, 15) (qui concerne la mort d’Abraham) Â».

 

Il ne s’agit pas, ici, de superstition. D’une expression qui porterait chance et l’autre pas. Il s’agit d’exprimer un message à travers l’expression choisie pour la situation correspondante.

 

Sauf dans la mort où tout s’arrête, la paix, la plénitude est une valeur à construire. Aller « vers la paix Â», c’est marcher vers son épanouissement personnel. La paix dont il s’agit, ici, n’est pas la béatitude, ni l’absence de belligérance.

Chaque jour, on construit un peu plus sa complétude. Les frères de Joseph ne pouvaient plus lui parler « vers la paix Â» pour construire ensemble la paix, alors qu’ils sont rongés par la jalousie. Aucune écoute de l’autre n’est envisageable sans le rétablissement de la paix intérieure de chacun.

La place faite à l’autre dans le dialogue n’est pas ressentie comme une agression, comme une remise en cause de notre être propre. C’est un accueil de la parole de l’autre pour s’enrichir réciproquement par le partage.

 

L’impossibilité d’un dialogue « vers la paix Â» indique ainsi, le basculement de la relation dans l’agression, dans la violence, souvent verbale avant d’être physique.

 

LA MAÃŽTRISE DES PULSIONS

 

Cette rupture du dialogue peut être provoquée par des causes extérieures à l’individu, dans le cas des frères de Joseph,

une communication familiale brouillée qui suscite une jalousie dans la fratrie. Cependant, ces causes extérieures sont souvent la face visible de pulsions intérieures mal maîtrisées.

 

Si nous en revenons au cas de Caïn et Abel, l’affrontement fait suite à une recommandation divine. D-ieu dit à Caïn :

 

« Pourquoi es-tu courroucé et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu t’améliores, tu pourras être pardonné, sinon le péché est tapi à ta porte : il aspire à t’atteindre, mais toi, sache le dominer ! Â» (Genèse IV, 6-7).

 

 

 

L’homme, en naissant, n’est pas un ange. Il a des pulsions diverses qui l’entraînent vers ce que la Tora considère être le bien ou vers ce qu’elle considère, à l’inverse, comme étant mauvais relativement au projet qu’elle développe pour l’homme. Ces pulsions contraires font toutes deux parties de l’humain ; elles en font sa force, mais elles peuvent provoquer sa perte. Tout dépend de l’usage qu’il va faire de ces pulsions. Maîtrisées, canalisées ou débridées, tout dépendra de son éducation et de ses choix de vie.

 

Caïn aurait du pouvoir maîtriser cette colère qui l’a envahie. Il a échoué et il a déchargé son agressivité sur son frère ne pouvant le faire contre D-ieu.

 

Or, cette énergie peut aussi être engagée dans l’étude. Le Talmud nous rapporte l’histoire suivante (Baba Metsia 84a) :

 

« Un jour, Rabbi Yo’hanan se baignait dans le Jourdain. Rech Lakich le vit et sauta dans le fleuve pour le rejoindre. Tu devrais consacrer ta force à la Tora lui dit Rabbi Yo’hanan. Ta beauté conviendrait mieux à une femme, répondit Rech Lakich. Si tu changes de vie, je te donnerai ma sÅ“ur en mariage qui est bien plus belle que moi. Rech Lakich accepta la proposition de Rabbi Yo’hanan […].Rabbi Yo’hanan lui apprit la Tora et la Michna et fit de lui, un grand sage Â».

 

La recherche de la connaissance, l’étude en général requiert également de la vigueur, de l’énergie, de la volonté, de la détermination et de la persévérance. Tous ces notions sont parties intégrantes de l’l’individu pour peu qu’il parvienne à les sublimer et à les investir dans l’étude plutôt que dans la violence. C’est le revirement de Rech Lakich qui, de chef de brigands devient un érudit en redirigeant son énergie pour lutter contre le texte.

 

Celui-ci ne se laisse pas conquérir facilement ; il requiert volonté, détermination, effort, perspicacité. Afin d’extraire du texte le commentaire, il faut s’engager dans un véritable face à face, une lutte pour le sens.

 

En ne permettant pas au jeune de relever ces défis intellectuels, il en relèvera d’autres sur un autre territoire où il pourra affirmer son être spécifique.

 

VERS LA RÉVÉLATION ÉDUCATIVE

 

Lorsque l’on transpose l’ensemble de ces éléments dans une situation d’apprentissage, il est facile de voir le parent ou l’enseignant à la place de Jacob. D’imaginer les dialogues potentiels ou les disputes éventuelles des élèves en raison de la partialité du maître.

 

Mais si l’on veut pousser la transposition plus loin, il faut alors envisager la situation éducative sous un autre jour.

Non pas celle d’un transfert de savoirs où l’un serait intelligent, supérieur à l’autre et où cette supériorité serait mise en exergue.

Mais considérer le temps de l’éducation comme une rencontre entre deux individualités, bien sûr inégales, mais où l’un peut accueillir la parole de l’autre sans conflit, accueillir la personne de l’autre en admettant son identité, en la considérant.

La recherche du chalom, c’est-à-dire du plein de connaissances partagées, ne peut se faire l’un contre l’autre, mais doit s’envisager l’un avec l’autre. L’élève a sa part dans la réussite de l’éducation et l’enseignant peut avoir la sienne dans l’échec de la démarche.

 

L’enseignant doit permettre à l’élève d’exister dans la rencontre face à lui. Pour instaurer un dialogue constructif, il doit savoir se taire lorsque l’élève exprime son point de vue et vice versa, bien sûr. Cela permet la rencontre, puis l’échange des cultures ; dans le cas contraire, c’est un affrontement qui risque de surgir. La part d’énergie contenue en l’adolescent doit pouvoir être transférée dans la recherche vigoureuse du savoir.

 

Le savoir savant que l’on cherche à transmettre, parce qu’il n’est pas naturel et spontané, doit être acquis, conquis et maîtrisé.

La résistance du savoir savant doit être dominée, afin qu’il ne devienne pas un ennemi à écraser, mais un ami, une fois apprivoisé.

 

C’est en continuant à pouvoir se parler « vers la paix Â» que l’on devrait se mettre en situation de prévenir l’émergence d’une violence destructrice et vite incontrôlable.

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