Le parent éducateur premier ?
Gala de l'école Or Torah - Nice - Mars 2008
Dans la tradition juive, l’éducateur premier et primordial, c’est le parent d’après le verset de Deutéronome XI, 19 :
« Vous les enseignerez à vos enfants en les répétant sans cesse, quand tu seras à la maison ou en voyage, soit que tu te couches, soit que tu te lèves ».
Verset que l’on comprend généralement comme suit : « Vous les enseignerez vous-mêmes ».
Or, dans la réalité, c’est rarement le cas, on le sait bien. D’ailleurs, cette situation ne date pas d’aujourd’hui.
Déjà, comme nous le rapporte la Guémara de Baba Batra 21a, à l’époque du Second Temple, c’était rarement le cas, c’est pourquoi, le Grand Prêtre Yéhoshoua ben Gamla, le premier va inventer l’école juive. Dans ces conditions, avons-nous bien compris ce texte ?
Pourquoi faudrait-il rechercher quelque chose qui, finalement, est bien difficile à atteindre ?
Les parents, d’ailleurs, sont-ils les plus appropriés à l’éducation des enfants ? Ne vaut-il pas mieux les confier, depuis leur plus jeune âge, à des professionnels et d’exempter les parents de cette obligation ? D’ailleurs, cela s’est pratiqué autrefois dans des sociétés de type communiste. Cela d’autant plus, que les attentes et les besoins des enfants ne sont pas uniques.
De ce fait, la réponse éducative doit s’adapter à chacune de ces situations.
Pour mieux comprendre notre question, précisons la nature de cette diversité.
Elle nous est proposée à travers les quatre enfants présentés dans la Haggadah de Pessah et qui sont issus du texte biblique.
La première demande, c’est celle du Sage. Sa question porte sur les différentes catégories de commandements.
Il demande : « Que sont ces témoignages, ces statuts, ces lois que le Seigneur notre D-ieu, nous a prescrits ? » (Deutéronome VI, 20).
On lui répond en lui donnant des détails juridiques. Ce faisant, on répond à l’injonction biblique que nous avons cité précédemment : « Vélimadetèm otam et bénékhèm » (Deutéronome VI, 19). « Vous les enseignerez à vos enfants ». On est dans la sphère du « Limoud », de l’étude juridique pratique, de l’approche analytique qui distingue les détails les uns des autres.
La deuxième demande, si l’on peut dire, est celle du Racha, du rebelle.
Il n’interroge pas. Il interpelle : « Que signifie ce service pour vous ? » (Exode XII, 26).
Face à lui, il ne faut pas enseigner, ni répondre. Il faut se contenter de raconter les fondements de son identité.
« Véhigadeta Lebinekha… ». Tu raconteras à ton fils : « C’est pour cela que l’Éternel a agit en ma faveur » (Exode XIII, 8).
C’est en affirmant notre cohérence face à ses remises en question, qu’il est en mesure de se positionner. C’est l’exemple de notre engagement qui le déstabilisera, pas la force de nos arguments sur lesquels, il pourra toujours questionner et attaquer.
On apprend autant, si ce n’est plus, de ses parents en vivant avec eux, qu’en étudiant avec eux.
Le troisième fils, c’est le Tam, le roi des questions. Il veut tout comprendre. C’est le maître des pourquois.
Face à lui, il nous faut être répétiteur. « Véchinanetam Levamèkha, vediberta bam… ». « Tu les inculqueras à tes enfants, tu t’en entretiendras, soit dans ta maison, soit en voyage, en te couchant et en te levant » (Deutéronome VI, 7).
C’est une préoccupation permanente et régulière, sans cesse, on revient face aux questions et en permanence, il nous faut répondre.
Le dernier enfant, c’est celui qui ne sait pas encore ou plus, poser de questions et il nous revient de prendre l’initiative. « Ate Peta’h lo » nous dit la Haggada, ouvre-le, ouvre-lui l’esprit et la bouche pour qu’enfin, il accède au monde de la question qui est le prélude à tout apprentissage.
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Les parents savent-ils faire tout ceci ?
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Et si ce n’est pas le cas, alors à quoi bon leur demander ?
En fait, si cela est exigé des parents, c’est pour une seule et unique raison : il n’y a pas mieux !
Il n’y a pas mieux que les parents pour se dévouer pour le bien-être et le mieux-être de leurs enfants.
Il n’y a pas mieux que les parents pour ne pas dormir la nuit, lorsque l’enfant va mal.
Il n’y a pas mieux que les parents pour remuer ciel et terre, lorsque l’enfant est en difficulté ou en échec.
Il n’y pas mieux que les parents pour troquer leur tranquillité pour le bien de leur enfant.
Le professionnel, malgré son dévouement, son abnégation, son savoir-faire, son sens des responsabilités, a sa vie personnelle, sa vie propre, sa propre famille. En cas de difficultés extrêmes, il baissera les bras plus rapidement qu’un père ou une mère qui jamais ne se désespèrent vraiment.
L’éducation et le bien-être de nos enfants dépassent notre ego. C’est pourquoi, au-delà de tout, cela reste notre préoccupation et notre responsabilité. Sa réussite, c’est la nôtre et quelque part, son échec, c’est le nôtre. C’est pourquoi, le parent doit rester à l’écoute, à la fois de son enfant et de celui qu’il a mandaté pour son éducation, car il le fait en ses lieux et places.
Cet exemple du dévouement des parents, nous est rapporté dans le Talmud Kiddouchim 30a, de la façon suivante :
« Rabbi ‘Hiya bar Alba rencontra un jour, Rabbi Yéhoshoua ben Lévy. Il conduisait un enfant à l’école, la tête hâtivement couverte d’un drap.
« Pourquoi (cette précipitation) ? » lui demanda Rabbi Hiya.
Il est écrit : « Enseigne-les à tes enfants et à tes petits-enfants » et tout de suite après : « Souviens-toi du jour où tu te présentas devant l’Éternel, ton D-ieu à Horev » (Deutéronome IV, 10). Crois-tu que ce n’est pas important ? (Ayant entendu ce récit), Rabah, le fils de Rav Houna n’avalait plus une bouchée avant d’avoir amené son enfant à l’école.
Quant à Rabbi ‘Hiya bar Alba, il n’avalait pas une bouchée, tant qu’il n’avait pas fait réciter deux fois sa leçon à son fils ».
Jusque-là, va l’abnégation d’un parent qui a conscience d’assumer pleinement la responsabilité de l’éducation de ses enfants.