Le Couple : Une histoire à construire à deux
1/ Un jour, mon prince viendra ! ... Mais, comment le reconnaître ?
Novembre 2017
C’est une certitude qui traverse bien des cultures et qui reste bien vivante de nos jours.
Ce Prince, qui n’est pas nécessairement « charmant », car ce qualificatif
a été créé récemment dans les Studios de Walt Disney, a en lui, bien des atouts.
Il est beau, fort et gracieux ; il est protecteur et sauveur de la « Princesse » en danger.
Le premier danger étant, bien sûr, celui de la solitude. Le Prince vient donc combler
les attentes et les espérances de la Princesse. Généralement, l’histoire s’arrête là .
« Ils se marièrent et furent heureux ».
La vie devient alors une sorte de béatitude assez loin de la vie réelle,
car toute l’énergie a été mise dans l’attente de la rencontre féérique.
Est-ce à dire que le « Prince charmant » n’existe pas, comme le prétende certaines
féministes ? Non plus ! Mais, encore faut-il déterminer ce que l’on attend.
Les Cabalistes, depuis le Moyen-Âge, expliquent qu’au départ, l’âme de l’humain
est unique et qu’au moment de la naissance, celle-ci est divisée en deux.
L’une des parties ira dans un être génétiquement masculin et l’autre partie, ira dans un être génétiquement féminin.
Chaque individu devra retrouver sa moitié originelle pour former avec lui, un être entier : l’Adam premier.
Cela est conforme à l’enseignement de Rabbi Yehouda qui a dit au nom de Rav : « Quarante jours avant la conception d’un enfant, une voix céleste annonce : « La fille d’untel doit épouser untel, la maison d’untel appartiendra à untel, le champ d’untel à untel » » (Talmud Sota 2a).
Puisqu’il y a une origine commune, il y a donc la possibilité de réunir les parties séparées, elles sont d’ailleurs destinées à ce rapprochement, car, par cette union, elles rendent possible la relation avec D-ieu, lui-même, unique. Cependant, cette rencontre avec son partenaire complémentaire ne va pas de soi. Elle dépend de plusieurs critères :
* Notre mérite.
* Notre capacité à le reconnaître.
* Notre capacité à l’aider à se révéler.
Les deux derniers paramètres sont généralement liés au premier. Cependant, nous les distinguerons, ici, pour faciliter notre analyse.
Mon Prince existe, mais je dois le mériter
Avant toute chose, notre formulation est toujours inversable. Car, il en va de même pour les deux. Le Prince doit trouver sa Princesse et la Princesse doit pouvoir trouver son Prince.
Voici comment cette idée est exprimée dans un texte du Cabaliste Rabbi Joseph Gikatila :
Si l’homme qui a été créé met ses affaires en ordre et accomplit les commandements de façon tellle qu’il conjoint le Yessod (le Fondement) et la Malkhout (la Royauté), qui constituent l’unité parfaite, alors par ce mérite, cet homme est digne de trouver sa partenaire féminine à savoir : la femme dans laquelle a été placée l’âme qui était sa partenaire féminine au début de sa création au sein de la forme androgyne, c’est ainsi, qu’il a trouvé sa partenaire féminine […].
Et c’est ce que signifie : « Le Seigneur D-ieu bâtit en femme, le côté qu’il avait pris à l’homme et il l’amena à l’homme » (Genèse II, 22).
Et alors ce couple marchera bien, ce qu’indiquent les mots : « Il s’attachera à sa femme et ils seront une chaire une » (Genèse II, 24). « Une » (É’had) évidemment ! L’homme étant androgyne et il y avait une unique forme qui fut ensuite scindée et ses parties se tournèrent face à face et ils s’aimèrent, alors, il trouva une partenaire féminine, c’est ce qui est énoncé.
« Cette fois, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair » (Genèse II, 23). […] Ainsi donc, quiconque mérite de joindre Yessod et Malkhout, mérite de trouver la partenaire féminine qui lui est destinée.
Le Yessod (le Fondement) est le principe masculin par définition et la Malkhout (la Royauté) est le principe féminin par excellence.
Ils sont les deux derniers niveaux de l’arbre séfirotique.
Dans la Cabbale zoharique, chaque degré d’émanation reçoit de celui qui est au-dessus de lui et transmet à celui qui est en-dessous.
Le niveau Malkout est celui qui reçoit des neuf autres niveaux d’émanation et qui est le plus en lien avec le monde de l’humain.
Ces deux principes : Yessod et Malkhout se retrouvent dans les noms des principes humains : le Yod de Ich (l’homme) pour le masculin et le Hé de Icha (la femme) pour le féminin. Lorsque l’individu est vertueux et qu’il applique les commandements, alors, il permet l’unification des Sefirot et du coup, réunissant les deux derniers niveaux, il mérite d’unifier son âme à celle de sa partenaire, reproduisant sur terre, l’unification céleste.
Cependant, cette lecture doit être prolongée par l’enseignement de Rachi sur la notion d’Ezer Kenegdo, d’aide à ses côtes, qui reprend l’enseignement du Talmud Yebamot 63a : « Rabbi Éléazar a dit : Que signifie « Je lui ferai une aide contre lui (kenegdo littéralement) ?
S’il le mérite, elle l’aidera ; s’il ne le mérite pas, elle s’opposera à lui » ».
Or, la femme n’est pas un « instrument » destiné à punir l’homme pour son mauvais comportement.
Dès lors, il faut interpréter ce texte autrement que la lecture littérale le laisse entendre. Si l’homme est méritant, alors il a besoin d’aide pour être encouragé, accompagné pour poursuivre sa voie. S’il l’est moins, il a besoin de quelqu’un qui l’aide en le sortant de son inertie, de sa torpeur. Il a besoin de quelqu’un qui s’oppose à lui pour lui permettre de remettre en question les certitudes qui l’empêchent de progresser. Le désaccord a une finalité positive.
Dès lors, être adapté à son partenaire, cela ne veut pas forcément dire, avoir au quotidien, les traits et les apparences du Prince charmant. L’individu progresse plus grâce aux épreuves que dans la confortation de ses certitudes ou que dans l’énoncé de son rêve.
Le Ben Zoug ou la Bat Zoug est la personne adaptée à notre personnalité, à notre mérite, à notre besoin.
C’est la personne indispensable à notre complétude.
Mon Prince existe, mais je dois le reconnaître
La vie est différente des contes de fées et il est bien souvent difficile de reconnaître son « Mazal ». Mais, pour trouver quelqu’un,
faut-il encore savoir ce que l’on cherche. Si ce n’est pas le cas, on risque de passer à côté de lui ou d’elle sans s’en rendre compte.
Le choix d’une épouse, pour Isaac, par Eliezer devrait nous permettre de mieux comprendre cette problématique.
Eliezer s’installe près d’un puit, lieu par excellence de la vie sociale et met à l’épreuve la jeune fille qui se présente : « La jeune fille à qui je dirai : vient porter ta cruche que je boive et qui me répondra : Bois, puis je ferai boire aussi tes chevaux, puisses-tu l’avoir destinée à ton serviteur Isaac » (Genèse XXIV, 14).
Le critère qu’Eliezer recherche est celui de la générosité : non seulement, elle accepte de donner à boire à ce voyageur étranger qu’elle ne connaît pas, mais en plus, elle se préoccupe du bien-être des animaux. Tout ceci avec grâce et disponibilité naturelle.
Le Midrach rapporté par Rachi nous permet de percevoir un autre critère : « Il avait vu (Eliezer) que les eaux étaient montées à son approche ». L’eau, symbole de pureté, s’approche de la source de pureté qu’est l’âme de Rivka.
Ainsi, les critères utilisés par Eliezer ne sont ni sa beauté, ni sa richesse, ni sa situation familiale, en l’occurrence complexe puisqu’elle est la sœur de Lavan. Eliezer s’intéresse à sa position spirituelle symbolisée par l’eau qui monte vers elle et à la nature de son caractère :
sa générosité. En effet, il sait que dans la famille de son maître, sa pureté sera l’élément de proximité indispensable à une véritable rencontre avec Isaac, le fils d’Abraham, celui qui était prêt à être sacrifié pour le service de D-ieu. Mais, cet élément seul n’est pas suffisant pour fonder le couple, même s’il est indispensable.
En effet, Isaac se caractérise par sa rigueur, par son exigence, vis-à -vis de lui-même et vis-à -vis des autres et son acceptation du sacrifice ne fait que renforcer ce trait de caractère.
Dès lors, Eliezer doit trouver pour Isaac, une partenaire qui lui soit adaptée, c’est-à -dire, qui soit complémentaire à son tempérament, afin d’en atténuer les excès possibles.
Si Rivka était aussi rigoriste que son mari, elle ne ferait qu’exacerber les penchants d’Isaac. En étant tournée vers le Hessed, vers la générosité, elle va permettre à l’autre de trouver son équilibre tout en trouvant le sien pour ne pas sombrer, elle aussi, dans l’excès de générosité.
Le Prince ne doit pas être en extase devant sa Princesse, sinon ensemble, ils vont sombrer dans l’ennui ou dans l’extrémisme en renforçant leurs jugements sur le monde, au point de les rendre absolus.
Le partenaire à trouver, c’est celui qui a suffisamment de proximité avec nous pour permettre de dialoguer et suffisamment de distance pour nous permettre de progresser ensemble.
Pour cela, il nous faut être lucide sur nous-même et ne pas se prendre pour le prince ou la princesse ultime, mais savoir que l’on est en devenir, que l’on n’a pas achevé sa progression, mais que l’on peut encore s’améliorer grâce à la différence d’un être très proche.
Le Prince existe, mais je dois l’aider à se révéler
Le « Prince » que l’on rencontre à 20 ou 30 ans n’est pas un « roi » achevé ; c’est un « roi » en devenir.
Chaque homme est, potentiellement, un prince charmant si la femme qui le rencontre sait déceler en lui, non pas ce qu’il est aujourd’hui, mais ce qu’il va devenir. Et réciproquement pour la femme que l’on rencontre.
L’humain évolue toute sa vie. Bien sûr, il peut aussi se dégrader.
Mais, c’est en grande partie de la rencontre que l’avenir dépend.
On évoque, ainsi, dans le Talmud, le cas de femmes qui entrainent leurs maris vers la vertu ou vers la dépravation.
Tout dépendrait d’elles ? C’est donc en fonction de l’aventure que l’on vivra à deux que le prétendant deviendra notre complément ou pas.
Car en fait, on ne peut pas vraiment savoir au début de sa vie de couple, si la personne que l’on a choisie ou qui nous a choisi est la bonne. Car des êtres qui n’étaient pas exactement les prédestinés peuvent vivre ensemble et être heureux ensemble, car ils étaient suffisamment proches et différents à la fois, pour avoir une influence positive l’un sur l’autre.
Ensemble, ils arrivent alors à un niveau de complétude suffisant pour pouvoir ensemble s’unir de manière positive.
L’important est de s’avancer dans la rencontre si l’on pense être suffisamment proche pour s’accorder ensemble en étant curieux l’un de l’autre. Mais, si l’on attend tout de l’autre, on risque d’être déçu, car tout dépend, en fait, de nous. L’autre n’est pas à notre service.
Attendre le Prince charmant, comme la Belle au bois dormant, est la meilleure manière de ne jamais être réveillée par lui. Notre absence d’action fait barrière à sa révélation.
Être en recherche permanente est également le moyen de ne pas le trouver, car on cherche un roi et non un apprenti-Prince.
C’est en travaillant sur soi, sur ses valeurs morales et spirituelles qu’on se rend disponible à la rencontre.
Car, ne se prenant pas pour une Princesse : « C’est moi la plus belle, la plus intelligente, la plus désirable », on se rend accessible à l’autre. Alors, on sera en mesure de le reconnaître et de se lancer dans l’aventure de la vie avec lui.
C’est notre disponibilité qui le fera se révéler, alors que notre attente trop responsabilisante risque de le faire fuir. Il n’est pas encore abouti. Il le sera dans le cadre du couple. En tant que célibataire, il est en apprentissage.
Laissons-lui le temps de s’épanouir dans le cadre du couple, laissons-lui sa chance pour saisir la nôtre et ne pas se croiser sans le savoir.
