Histoires Bibliques
8/ Ezekiel : la vision des ossements dessechés
Décembre 2018
Avec cette nouvelle vision d’Ezéchiel, après celle du Char Céleste,
on change de registre :
Si le Char Céleste était une vision pessimiste, annonçant le départ en exil
de la Chéhina, la vision des ossements desséchés est optimiste avec l’annonce
d’un retour d’Israël sur sa terre.
Si avec le Char Céleste, on était dans la mystique avec les ossements
desséchés, on est dans le messianisme.
Pour en savoir un peu plu, examinons le texte du Chapitre 37 du Livre d’Ezéchiel
avec les éclairages d’Abrabanel et du Malbim :
Verset 1 : « La main du Seigneur se posa sur moi et le Seigneur me transporta en
esprit et me déposa au milieu de la vallée, laquelle était pleine d’ossements ».
Les Sages sont partagés sur la nature de cette vision. N’est-ce qu’une allégorie
qu’Ezéchiel voit en songe ou bien, est-ce une vision réelle et ce qui se produit est de
l’ordre du miracle ?
Quoiqu’il en soit, cette vision vient annoncer à Ezéchiel l’avenir. L’avenir proche du
retour à Jérusalem, après 70 ans d’exil à Babylone et l’avenir plus lointain du retour Ã
la vie des personnes disparues, la résurrection des morts.
Le texte, d’emblée, annonce la difficulté de ce retour dans la mesure où on ne parle que d’ossements qu’il va falloir ensuite recouvrir d’un corps. Il s’agit, donc, bien de reconstituer la vie comme ce fut le cas lors de la création du premier homme :
« L’Éternel D-ieu façonna l’homme, poussière détachée du sol, fit pénétrer dans ses narines, un souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Genèse 2,7). De la même façon, pour la résurrection des morts, il rassemblera de la poussière de la terre pour reconstituer le corps, avant de le ramener à la vie.
Selon la tradition juive, même si les os se transforment, eux aussi, en poussière, un seul subsiste à jamais ; il s’agit du « Louz »,
os en forme d’amende qui se trouve dans la nuque et qui servira de base pour la reconstruction du corps.
Abrabanel rapporte les différentes lectures possibles pour l’identification de ces morts :
* Les Ephraïmites qui, à la suite d’un calcul, étaient sortis d’Egypte avant la date et étaient morts dans le désert.
* Les personnes qui sont mortes dans la Vallée de Dora (voir Daniel, 3) ayant refusé de se prosterner devant la statue de Nabuchodonosor.
Tout ceci, vient nous enseigner, que même les personnes mortes en Galout, auront part à la résurrection des morts et cela,
même si elles sont mortes récemment, au moment de l’ère messianique.
Après ce premier verset qui constitue une sorte d’introduction, la prophétie va maintenant donner des précisions sur ces ossements et sur la procédure que va suivre cette résurrection.
Verset 2 : Il me fit avancer près d’eux, tout autour ; or, il y en avait un très grand nombre à la surface de la vallée, et ils étaient tout desséchés.
Verset 3 : Il me dit : « Fils de l’homme, ces ossements peuvent-ils revivre ? ». Je répondis : « Seigneur D-ieu, tu le sais ».
Verset 4 : Et il me dit : « Prophétise sur ces ossements et dis-leur : ossements desséchés, écoutez la parole de l’Éternel ! ».
Dans ces versets, deux choses sont surprenantes : d’une part, l’insistance sur le dessèchement de ces ossements et, d’autre part,
la nécessité de l’intervention du prophète et de sa prophétie pour leur résurrection.
Ce qui renforce, apparemment, la résurrection, c’est leur dessèchement. Ce qui signifie qu’ils n’ont plus de force vitale qui pourrait,
selon l’expression du Malbim, agir comme du levain dans la pâte. Ces ossements sont comme des branches mortes qui ne peuvent revenir à la vie, car toute force de vie, même en puissance, les a quittés. Or, habituellement, cette force vive et tout entière concentrée dans le « Louz » qui seul persiste et à partir duquel, la vie peut repartir. Or, ici, il y a de nombreux ossements en dehors du « Louz » et ce sont ces ossements que le prophète va devoir faire revivre. Or, habituellement, la condition même de la résurrection, c’est l’annihilation totale du corps, en dehors du « Louz » et, ici, ces conditions ne sont pas réunies. D’où la réponse d’Ezéchiel à D-ieu qui signifie :
« Tu sais bien que les conditions de la résurrection ne sont pas réunies ».
Et la réponse de D-ieu : « Alors, il t’appartient à toi » d’intervenir pour la résurrection exceptionnelle et surnaturelle de ces ossements.
En effet, la résurrection des morts, dans l’avenir, se produira uniquement à partir du « Louz », comme l’être humain né dans le ventre de sa mère à partir d’une seule cellule qui se dédouble et exprime le concentré de vie qu’elle contenait.
Mais, a priori, ce n’est plus possible pour ces ossements qui ne possèdent pas en eux de force vitale et pour lesquels, il faut une intervention du prophète et un miracle.
Abrabanel interprète cette question de D-ieu de façon plus politique pour l’époque d’Ezéchiel :
* Cette question signifierait : « Est-ce que cette génération mérite le retour ? ». Est-ce que leur comportement ne ressemble pas à ces os qui se sont desséchés à force de leurs fautes et de leur éloignement de la source de vie que représente la Tora ?
* D’où la réponse d’Ezéchiel avec la notion de connaissance qui, pour Abrabanel, est symbole de miséricorde. Pardonne à ce peuple,
car tu connais sa vraie nature et pardonne leurs fautes.
* La réponse de D-ieu ne se fait pas attendre : « Prophétise pour eux. C’est par le mérite de ta prophétie qu’ils pourront revivre et revenir en terre sainte » :
Verset 5 : Ainsi parle le Seigneur D-ieu à ces ossements : voici que je vais faire passer en vous, un souffle et vous revivrez.
Verset 6 : Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai croître autour de vous, de la chair, je vous envelopperai d’une peau, puis je mettrai en vous, l’esprit et vous vivrez et vous reconnaîtrez que je suis l’Éternel.
La procédure adoptée est la suivante : le souffle de vie qui manquait à ces ossements desséchés ; des nerfs ; de la chair ; de la peau.
Et, une fois le corps reconstitué, l’esprit puis la Téchouva.
Cette procédure n’est pas celle qui sera suivie, lors de la résurrection des morts ; puisqu’alors tout recommencera à partir du « Louz », comme le fœtus se construit dans le corps de la mère où tout part d’une cellule qui se divise.
Le cœur et la chair précèdent la solidification des os :
Verset 7 : Je prophétisais comme j’en avais reçu l’ordre. Il se fit une rumeur, comme je prophétisais, puis un frémissement, et les os se rapprochèrent en s’ajustant l’un à l’autre.
Verset 8 : Je vis qu’il y avait sur eux des nerfs, qu’une chair s’était développée et qu’une peau s’étendait par-dessus, mais de souffle,
il n’y en avait pas encore.
Verset 9 : Il me dit : Fais appel à l’esprit, fais appel fils de l’homme, et dis à l’esprit : Ainsi, parle le Seigneur D-ieu :
Des quatre coins, viens, ô esprit, souffle sur ces cadavres et qu’ils reviennent.
Verset 10 : Et je prophétisais, comme il me l’avait ordonné et l’esprit les pénétra ; ils vécurent et ils se dressèrent sur leurs pieds,
en une multitude extrêmement nombreuse.
On assiste, maintenant, en direct à cette résurrection en deux étapes :
* D’abord, la reconstitution des corps dûe au pouvoir de la prophétie.
* Ensuite, le retour à la vie dûe, cette fois, à l’intervention divine.
Si l’homme a le pouvoir de transformer la matière, de la modifier, il ne peut, comme on le voit dans le récit de Béréchit, ni la créer à partir de rien, ni donner la vie à ce qui en est dépourvu, même en puissance. Là , s’arrête le pouvoir humain et là , commence la grandeur du pouvoir divin.
Les Sages s’interrogent sur l’expression : « Des quatre coins, viens, ô esprit, souffle sur ces cadavres ».
En effet, le terme Roua’h désigne à la fois, le vent, l’haleine et l’esprit.
Ainsi, les quatre coins correspondraient aux quatre compréhensions possibles de Roua’h :
* L’esprit vital qui a son siège dans le cœur.
* L’esprit naturel qui a son siège dans le foie.
* L’esprit spirituel qui a son siège dans le cerveau.
* Et la force de l’esprit, de l’intelligence.
C’est en réunissant ces différentes forces vitales que le prophète peut redonner la vie à ces cadavres symboliques.
À nouveau, on se situe dans le parallélisme avec la création de l’homme par D-ieu, selon le Midrach :
« Il prit de la terre des quatre points cardinaux pour en façonner le corps de l’homme, avant de lui insuffler un souffle de vie ».
Verset 11 : Alors, il me dit : « Fils de l’homme, ces ossements, c’est toute la maison d’Israël ».
Ceux-ci disent : « Nos os sont desséchés, notre espoir est perdu, c’est fait de nous ! ».
Verset 12 : Eh bien ! Prophétise et dis-leur : Ainsi parle le Seigneur D-ieu : Voici que je rouvre vos tombeaux, et je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple ! Et je vous ramènerai au pays d’Israël.
Verset 13 : Et vous reconnaîtrez que je suis l’Éternel, quand j’aurai ouvert vos tombeaux et quand je vous aurais fait remonter de vos tombeaux, ô mon peuple !
Verset 14 : Je mettrai mon esprit en vous et vous serez vivifiés, et je vous assoirai sur votre sol et vous reconnaîtrez que je suis l’Éternel, qui ai parlé et qui exécute, dit l’Éternel.
Après la parabole, il y a le décodage de la parabole :
* Les « ossements », c’est toute la maison d’Israël. La nation est comparée à ces ossements décharnés et secs, car la nation n’a plus aucune structure de vie, ni roi, ni prince, ni armée. Elle est déstructurée comme le sont ces corps. D’où la comparaison. Cette situation, bien sûr, est dûe à l’exil.
* « Nos os sont desséchés ; notre espoir est perdu ». En effet, l’espoir est un soupçon de vie. C’est une force à partir de laquelle, tout peut être reconstruit. Mais, sans espoir, c’est le dessèchement de ces os qui sont comme du bois mort, sans possibilité de retrouver la vie.
* « C’est fait de nous ». Car, le peuple est dispersé, comme ces os épars sur toute la surface de la plaine. Ils n’ont donc plus, non plus, la possibilité de se regrouper pour se renforcer les uns, les autres.
* « Je rouvre vos tombeaux » (à vous les Tsadikim). On revient, ici, à une lecture eschatologique sur la résurrection des morts qui procèdera à l’ouverture des tombeaux.
* « Je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple ». Seul, le peuple de D-ieu pourra avoir une part au monde futur.
Comme il y a une répétition : la première expression vaut pour les « Justes des nations », la deuxième pour Israël (entre les versets 12 et 13).
* « Et je vous ramènerai au pays d’Israël ». Car, la résurrection ne peut avoir lieu qu’à partir d’Israël. Les corps seront d’abord conduits en Israël pour ensuite, pouvoir être ramenés à la vie.
La seconde lecture a trait à l’époque d’Ezéchiel :
La Galout est comparée au tombeau, car là -bas, dans le corps de la nation. D-ieu ouvrira l’exil en faisant cesser l’oppression.
À ce moment-là , le peuple pourra sortir de son exil pour monter en Israël et cela ne sera pas valable que pour les Tsadikim, mais pour tout le peuple.
Par tout ceci, le peuple reconnaîtra la main de D-ieu, car ni l’ouverture des tombeaux, ni l’Alyah ne sont de l’ordre de la nature.
Vous reconnaîtrez D-ieu qui fait ce qu’il a dit. Comme cela a déjà été le cas par le passé et comme cela sera dans le futur, à la fois du point de vue de la résurrection des morts, comme du point de vue de la libération de l’exil.
C’est ce que D-ieu fera 70 ans plus tard en ouvrant les portes de l’exil et en permettant au peuple de revenir en Israël sous la conduite de Zorobavel, de la dynastie de David. D’ailleurs, pour prolonger cet espoir et affirmer le retour, toute la fin de la prophétie d’Ezéchiel porte sur la reconstruction du Temple, avec ses dimensions et ses caractéristiques, détails par détails.
