
Histoires Bibliques
6/ Ezéchiel : La vision du Char Céleste
Mai 2018
Le prophète Ezéchiel fait partie de ce que l’on appelle, généralement,
les trois grands Prophètes : Isaïe, Jérémie et Ezéchiel.
Alors qu’Isaïe vit en – 758 pendant les règnes des Rois Ouzia, Jotham, Achaz et
Ezéchias de Yéhouda,
Jérémie vit en – 610 pendant le règne des Rois Joïakim et Sédécias du Royaume
de Yéhouda, en Israël,
Ezéchiel vit en – 599 pendant le règne du Roi Sédécias, mais à Babylone où il avait
été déporté avec le Roi Joïakim, en tant que membre de la famille sacerdotale de
Zadog. Il vit dans une petite localité babylonienne du nom de Tel Aviv sur les bords
du fleuve Kebar.
Il se dénomme, lui-même, le guetteur : « De même que le guetteur est responsable
de la sécurité d’une ville, de même le prophète est responsable de la vie de la
communauté qui lui est confiée » (André Neher - « Histoire Biblique » - page 541).
De – 597 à – 586, Ezéchiel comme Jérémie en Israël, apparaît comme un tragique
pessimiste qui annonce la catastrophe. D-ieu fait comprendre à Ezéchiel qu’Il a quitté
le Temple, qu’Il n’est plus à Jérusalem, mais qu’Il est parti, lui aussi, en exil Ã
Babylone avec son peuple.
Ce qui augmente le tragique de cette prophétie, c’est son silence ; Ezéchiel parle peu,
il mime la destruction du Temple et le départ en exil du peuple. Dans les dernières
années qui précèdent la catastrophe, quand le fatalisme se propage, il laisse
entrevoir l’espoir, chacun mourra pour ses fautes ; il laisse entrevoir un avenir
meilleur pour les nouvelles générations.
Mais, Ezéchiel vit surtout sa prophétie de façon tragique :
* La langue du prophète est comme enchaînée. Il n’a pas le droit de parler. Pendant une période, il doit mimer son message sans parole.
* Puis, il a l’obligation de se nourrir d’excréments d’animaux pour symboliser la nourriture abjecte des futurs déportés.
* Ceci est suivi par une nouvelle période de silence.
* La mort de sa femme s’accompagne de l’obligation de s’abstenir de tout signe de deuil.
* Après la destruction du Temple, il reprend la parole pour annoncer sa reconstruction à l’avenir.
Le passage que nous allons étudier constitue la première vision d’Ezéchiel : c’est ce qu’il est convenu d’appeler, la vision du Char Céleste. Or, ce passage constitue une référence mystique, par excellence, dont l’étude a été limitée par les Sages de la façon suivante :
« On ne doit interpréter le récit du Char Céleste devant une seule personne, à moins qu’il s’agisse d’un Sage capable de comprendre par lui-même » (‘Haguiga 11b).
Il s’agit, bien évidemment, ici, d’une lecture mystique du livre d’Ezéchiel. Ce à quoi, nous ne nous livrerons pas.
Nous tenterons, simplement, de vous faire partager les explications les plus classiques de ce texte énigmatique et hautement symbolique en ayant comme guide essentiel, le Commentaire du Malbim (Rabbi Meïr Lévouch ben Ye’hiel Michel Weisser – 1809-1879 en Ukraine).
Premier extrait :
« C’était dans la trentième année, le cinquième jour du quatrième mois, tandis que je me trouvais avec les exilés près du fleuve de Kebar,
le ciel s’ouvrit et je vis des apparitions divines » (Ezéchiel 1,1).
Cette phrase introductive, nous permet de préciser un point important au sujet de la prophétie, établi par Rabbi Yéhouda Halévy.
Elle ne peut émaner que d’Eretz Israël ou en direction d’Eretz Israël. Ce qui permet, ici, l’accès d’Ezéchiel à la prophétie, bien qu’il soit à Babylone, c’est la proximité du fleuve Kébar, identifié par les Sages en tant que l’Euphrate, fleuve qui relie Israël à la Babylonie.
Par cette liaison de l’eau, Ezéchiel peut recevoir la prophétie émanant d’Israël.
Dans cette introduction, on peut également, noter le caractère subit de la prophétie. Ezéchiel n’était pas prêt, mais D-ieu l’a choisi pour être son prophète et les cieux s’ouvrent pour lui. Et que voit-il ?
Or, je vis soudain un vent de tempête venant du Nord, un grand nuage et un feu tourbillonnant avec un rayonnement tout autour,
et au centre, - au centre du feu – quelque chose comme le ‘hachmal.
Et au milieu, l’image de quatre ‘Haïot ; et voici leur aspect ; elles avaient figure humaine. Chacune avait quatre visages et chacune quatre ailes. Leurs pieds étaient des pieds droits ; la plante de leurs pieds était comme celle d’un veau et ils étincelaient comme de l’airain poli.
Et des mains d’hommes apparaissaient sous leurs ailes des quatre côtés ; et les quatre avaient leurs visages et leurs ailes. Joignant leurs ailes l’une à l’autre, elles ne se retournaient pas dans leur marche, chacune allait droit devant elle. Quant à la forme de leurs visages,
elles avaient toutes quatre, une face d’homme et à droite, une face de lion, toutes quatre, une face de taureau à gauche et toutes quatre, une face d’aigle. (Ibid. 4-10).
Arrêtons-nous, quelques instants sur ces quatre faces. Ici, non seulement, les quatre directions, mais également, les quatre faces sont symboliques.
Devant, il y avait le visage humain, à droite, le visage du lion, à gauche, celui du taureau et derrière, celui de l’aigle.
La qualité de bonté (‘Hessed) est indiquée par la droite.
La qualité de la rigueur et de la force (Din et Guevoura) est indiquée par la gauche.
Et ce qui se trouve entre la bonté et la justice, c’est la miséricorde (Ra’hamim).
La royauté se trouve derrière, car c’est celle qui est en relation avec le monde d’en bas. On a, ainsi, les quatre manifestations principales de D-ieu dans sa relation avec les hommes. Chacune de ces formes est, ici, symbolisée par un visage particulier.
Si le ‘Hessed est associé au lion, c’est pour qu’il se renforce comme le lion.
Si le Din, à gauche, est associé au taureau, c’est pour que le Din ne sorte pas avec une main puissante et qu’il ne détruise le monde.
Et au milieu, c’est la miséricorde semblable à l’aigle qui prend soin de ses petits et qui cherche à les protéger.
De même, cela symbolise également, les nations qui prennent leurs forces du char divin :
* Babylone et l’Assyrie, qui sont des nations associées, qui ressemblent au lion, se sont comportées comme telles vis-à -vis d’Israël.
* La Perse et la Grèce sont des nations associées au taureau, car elles ont donné à Israël, la permission de reconstruire le Temple auquel est
faite une allusion à travers les cornes de l’autel.
* Rome, c’est l’aigle qui prolonge ses jours comme l’aigle et d’ailleurs, l’aigle figure sur le drapeau romain.
Une seule nation dirige le monde à la fois et tout le monde la suit avant qu’une autre vienne prendre sa place.
Pour Maïmonide, il s’agit des quatre faces que peut prendre un homme : On sait qu’il y a des individus humains dont les visages ont des forces semblables à celles appartenant à l’un ou l’autre des animaux, de sorte que tu vois tel individu dont le visage ressemble en quelque sorte à la face du lion, tel autre qui a pour ainsi dire, une face de bœuf et ainsi de suite (Guide III, 1).
Deuxième extrait :
Quant à l’aspect des ‘Hayot, elles apparaissaient comme des charbons de feu, incandescentes, comme des flambeaux ; un feu circulait entre les ‘Hayot et ce feu avait un rayonnement et du feu, sortaient des éclairs. Et les Hayot allaient et venaient tel l’éclair (Ezéchiel I, 13-14).
Le Malbim rapporte l’explication des Sages selon laquelle, leur action est évoquée par leur apparence :
* Ainsi, si elles sont semblables à des charbons en feu, c’est pour annoncer que leur action, c’est de brûler la Maison de D-ieu, la maison du Roi, c’est-à -dire, le Temple.
* Si elles sont incandescentes, c’est pour indiquer la proximité de la guerre qui va tout brûler sur son passage.
* Le feu, lui-même, est entre les ‘Hayot. C’est pour indiquer que le feu va s’attacher à elles, il va en émaner pour attaquer le Temple et le
détruire.
Troisième extrait :
Après avoir décrit les ‘Hayot qui tirent le char divin, Ezéchiel décrit maintenant, le char, lui-même, en commençant par les roues :
« Et je regardai les ‘Hayot et voici qu’il y avait une roue à terre, près des ‘Hayot, vers leurs quatre faces. L’aspect des roues et leur structure ressemblaient au Tarchich ; toutes quatre avaient même forme, et pour leur aspect et leur structure, c’était comme si une des roues était encastrée dans l’autre (Ezéchiel I, 15-16).
La roue, bien évidemment, indique la notion de cycle, ce de cycle en quatre temps que l’on retrouve dans la nature :
* L’année est divisée en quatre Téchoufot, quatre révolutions.
* La lune prend quatre formes pendant le mois.
* La journée se divise en quatre parties.
* Le monde en quatre directions.
De même, ici, les quatre ‘Hayot représentent les quatre nations qui vont se dresser contre Israël et chacune d’elle aura son étoile et il y a une roue pour chaque ‘Haya pour indiquer que leur chance tournera et qu’elles ne pourront pas se maintenir.
Quatrième extrait :
Et par-dessus le firmament qui dominait leur tête, il y avait comme une apparence de pierre de saphir, une forme de trône, et sur cette forme de trône, une forme ayant apparence humaine par-dessus. Et je vis comme un ‘Hachmal, comme une sorte de feu entouré d’un réceptacle, depuis ce qui semblait ses reins jusqu’en haut, et depuis ce qui semblait ses reins jusqu’en bas, je vis comme un feu avec un rayonnement tout autour » (Ezéchiel I, 26-27).
* Il ne voit pas un véritable trône, seulement, une forme de trône qui représente le trône de gloire du Créateur, celui qu’il utilise pour diriger
le monde et rendre la justice.
* De même, il ne voit pas D-ieu, mais a l’impression de percevoir une forme ayant une apparence humaine en feu. Mais, ce n’est qu’une
ressemblance, non une réelle vision, ce qui est impossible.
Synthèse :
La signification essentielle, pour sa prophétie de la vision du Char Céleste, Ezéchiel ne la comprendra que bien plus tard, au chapitre 10 où il voit la Chékhina quitter le Temple de Jérusalem et partir en exil :
Et la gloire de l’Éternel sortit de dessus le seuil du Temple et se tint sur les chérubins. Les chérubins déployèrent les ailes et s’élevèrent de terre, à mes yeux, en sortant, et les roues étaient auprès d’eux, et ils s’arrêtèrent à l’entrée de la porte du Temple de l’Éternel, à l’Est,
et la gloire du D-ieu d’Israël planait sur eux dans les hauteurs. C’était là , la ‘Haya que j’avais vue sous le D-ieu d’Israël près du fleuve de Kebar, et je ne sus que c’étaient des chérubins. Ils avaient chacun quatre faces, et chacun quatre ailes, et des formes de mains d’hommes étaient sous leurs ailes. Et l’aspect de leurs faces était celui des faces que j’avais vues sur le fleuve de Kebar ; c’était leur aspect, c’étaient eux-mêmes ; chacun allait dans la direction de sa face (18-22).
Ainsi, les ‘Hayot sont assimilées aux chérubins. D-ieu dévoile à son Prophète, les différents niveaux de la révélation divine aux hommes correspondant aux quatre mondes établis par les Cabalistes : le monde de l’Émanation (Atsilout) qui exprime la Gloire divine, celui-ci est symbolisé par l’être qui s’assoit sur le trône céleste. À partir de ce trône, D-ieu décide d’agir dans le monde de la Création (Beriya) ; c’est celui qui est symbolisé par le trône, lui-même. C’est de là , qu’Il va s’adresser aux hommes et considérer leurs actions. Vient ensuite, le monde de la Formation (Yetsira). C’est le monde des anges qui sont les messagers entre les hommes et l’Être Suprême, ce qui est représenté par le feu émanant des ‘Hayot. Enfin, le monde de la Fabrication (Assiya) qui représente le monde physique et spirituel qui est celui de l’homme. Ce sont les roues qui sont au-dessous de ‘Hayot et qui indiquent le mouvement du matériel vers le spirituel.
D-ieu indique d’emblée à son Prophète, les possibilités offertes à l’homme par D-ieu, d’entrer en relation avec Lui, d’agir sur terre pour s’adresser à l’Être Suprême.
Par le comportement des hommes, malheureusement, ce sont ces canaux relationnels qui se referment en attendant le retour des hommes d’exil, car l’histoire humaine ne peut s’arrêter, ni se terminer ainsi.