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La justification de l'exil egyptien selon le Maharal de Prague

Mai 2017

 

 

L’une des grandes préoccupations du Maharal de Prague, c’est la question de l’Exil

et son pendant positif qu’est la Rédemption.

Il y consacre, notamment, deux grands ouvrages :

Guevourot Hachem (1582) – Les Hauts Faits de l’Éternel ;

Netsa’h Israël (1600) – L’Éternité d’Israël.

Le premier se rattache à la fête de Pessa’h et analyse en profondeur,

les caractéristiques de l’exil égyptien et les conditions de la Sortie d’Égypte.

Le second est consacré au jeûne du 9 Av et analyse les causes de l’Exil et les

conditions de la Rédemption.

 

Si tout ceci intéresse tellement le Maharal, c’est parce que sur la base de l’analyse de ces exils anciens, on devrait être en mesure de comprendre l’exil que nous vivons et les conditions de la Rédemption future que nous attendons. De plus, si à de nombreuses reprises, l’exil d’Égypte est évoqué dans le texte biblique pour justifier ou pour renforcer des commandements, c’est qu’il y a là, un événement fondamental qui permet de comprendre le sens de l’histoire et le dessein divin.

 

Pour mieux cerner cette problématique, étudions des extraits du Chapitre 9 de Guevourot Hachem. (Les extraits de textes du Maharal sont en bleu dans la suite de l’étude)

 

Comme pour chaque étude, le Maharal part d’un verset, en l’occurrence celui de Genèse XV, 13 : « Sache bien que ta postérité sera étrangère, dans un pays qui ne sera pas le sien ; elle en sera l’esclave ; on l’y opprimera, pendant quatre cents ans Â».

 

La question du Maharal est, ici, la suivante :

« Quelle peut donc être la raison de la grande colère qui fit que D-ieu parla ainsi à Abraham ? Â» (144).

 

En effet, juste avant, D-ieu vient de renouveler sa confiance et sa promesse à Abraham :

« Ne crains point, Abraham. Je suis un bouclier pour toi, ta récompense sera très grande Â» (Genèse XV, 1).

Abraham interroge alors D-ieu sur sa descendance. Seras-ce Éliezer, puisqu’il n’a pas d’enfants ?

Réponse de D-ieu : « Celui-ci n’héritera pas de toi ; c’est bien un homme issu de tes entrailles qui sera ton héritier Â» (Ibid. 4).

D-ieu fait sortir Abraham pour lui montrer les étoiles et lui dit : « Regarde le ciel et compte les étoiles : peux-tu en supputer le nombre ? Ainsi, sera ta descendance Â» (Ibid. 5).

« Et il eut foi en l’Éternel et l’Éternel lui en fit un mérite. Et il lui dit : « Je suis l’Éternel, qui t’ai tiré d’Our-Kasdim, pour te donner ce pays en possession Â»Â» (Ibid. 7).

Il répondit : « D-ieu, Éternel, comment saurai-je que j’en suis en possession ? Â» (Ibid. 8).

Ensuite, vient l’alliance entre les morceaux jusqu’au verset 12.

 

Tout semble aller pour le mieux jusqu’ici. Les annonces sont positives et réconfortantes et tout semble basculer au verset 13 avec l’annonce de la descente, de sa famille, dans une terre étrangère et l’esclavage.

 

Quelle peut-être la cause de ce revirement subit ? Tout se passe comme si au commencement de la conversation, l’esclavage n’était pas prévu et qu’une faute d’Abraham la déclenche. Et si ce n’est pas dans cet échange, qu’est-ce qui dans l’histoire d’Abraham peut provoquer ce retournement de situation ? Lorsque Abraham quitte ‘Haran, n’est-ce pas pour prendre possession de la terre ?

Cette prise de possession ne vient-elle pas d’être réaffirmée ou confirmée au verset 7 ? Et au verset 13, on découvre que finalement,

ce n’est pas Abraham qui va vraiment en prendre possession, mais ses descendants, dans 400 ans. Pour comprendre ce changement important, il faut trouver la faute.

 

Dans une première partie de l’étude, le Maharal analyse, pour les réfuter, les propositions des commentateurs précédents, puis introduit un passage du traité de Nédarim 32a, à partir duquel, il va avancer son explication. Comme à chaque fois, l’avancée conceptuelle se fait par étapes :

  • Le texte talmudique.

  • Explication littérale du texte = Les auteurs sont en opposition.

  • Explication approfondie du texte = Les auteurs évoquent des facettes différentes d’une même notion.

  • L’approche du Maharal, avec l’introduction d’un élément de mise en perspective.

Suivons donc, cette progression.

 

1 – LE TEXTE TALMUDIQUE DE REFERENCE

 

« Rabbi Abahou demande : « Pourquoi notre ancêtre Abraham fût-il châtié ? Et pourquoi, ses descendants furent-ils réduits à l’esclavage pendant 210 ans ?. C’est parce qu’il fit appel aux disciples pour aller au combat ; c’est ce que l’on nous dit (Genèse XIV, 11) :

« Il mobilisa ses pupilles exercés, nés dans sa maison Â» ;

Shmouel propose une autre réponse : « C’est parce qu’il abusa de la patience divine, en disant (Genèse XV, 8) : « Par quoi, saurai-je que j’aurai la possession de ce pays ? Â».

Autre réponse de Rabbi Yo’honan : « C’est parce que Abraham fit trop peu de cas des intentions divines, lorsque le roi de Sodome lui proposa de lui rendre les âmes et de conserver les richesses, Abraham n’insista pas pour introduire des prosélytes sous les ailes de la chekhinah (Genèse XIV, 21). Â» (Nedarim 32a)

 

Il y a donc bien l’idée d’une faute.

Trois options sont proposées pour justifier la descente en Égypte. Cependant, à la première lecture, tout semble disproportionné entre la faute, si faute il y a, et les conséquences, non pas sur Abraham, mais 400 ans plus tard, sur la multitude de sa descendance.

 

 

2 – Explication littÉrale DU TEXTE = Les SAGES sont en opposition

 

Passons maintenant à une première lecture de ce texte, avec l’éclairage du Maharal. On est donc, ici, face à trois hypothèses pour expliquer la décision divine en réaction au comportement d’Abraham.

 

« Ainsi parla Rabbi Abahou : « Il s’agit d’une faiblesse dans la foi d’Abraham. Il recourut, en effet, aux services des disciples, parce qu’en proie à la crainte, il les engagea dans le combat. S’il n’avait recouru qu’à ceux qui étaient aptes à combattre, il n’y eût pas eu péché,

car il est de règle de ne pas compter sur des miracles ! Â».

C’est pourquoi, ses descendants durent supporter, pendant 400 ans, l’esclavage ; ils verraient ainsi, quelles promesses D-ieu pouvait accomplir et acquerraient ainsi, une foi sans défaillance Â».

 

En effet, s’il engage à ses côtés des savants, ce n’est pas parce qu’ils savent combattre, mais parce qu’il espère que pour eux, D-ieu fera des miracles et que leurs mérites viendront s’ajouter à son mérite pour obtenir la victoire. À cette faille de confiance d’Abraham,

D-ieu remédierait par une démonstration de prouesses et de miracles, lors de la Sortie d’Égypte qui fonderaient leur foi pour toujours.

 

Pour Shmouel, Abraham n’a pas fauté par manque de confiance en D-ieu, mais bien en lui, en son patrimoine de mériteS. Autant,

il a eu confiance pour sa descendance, autant ici, il n’est pas sûr de lui :

« Il jugeait qu’il ne mériterait peut-être pas le don qu’était cette promesse divine de lui octroyer le pays Â» (151).

Avoir une descendance, c’est de l’ordre du naturel. Avoir un pays, nécessite un mérite particulier, cela d’autant plus avec la terre d’Israël qui a une sainteté particulière.

Pour Rabbi Yo’hanan, il n’y a pas un manque de foi ou la demande d’une preuve quelconque. Le problème est ailleurs.

C’est en fait, une occasion ratée de faire des prosélytes. Du coup, il a en quelque sorte, amoindri la gloire de D-ieu en ne l’agrandissant pas à cette occasion.

« Or, D-ieu tient à ce que son Nom soit connu de tout l’Univers et que l’on croit en lui. C’est pourquoi, les descendants d’Abraham souffrent de la servitude pendant 400 ans ; ils en sortirent ensuite, à grand renfort de miracles et de prodiges, si bien que nombreux furent les étrangers qui en vinrent à se convertir et à croire en lui Â» (152).

L’exemple type est bien entendu Jethro qui a entendu et qui est venu … On a donc, ici, affaire à trois lectures concurrentes.

Après une première explication des justifications des trois Sages, le Maharal va maintenant se livrer à une seconde lecture de ce texte de Nedarim.

 

 

3 â€“ Explication approfondie du texte = Les Sages évoquent des facettes différentes d’une même notion

 

Avant d’introduire sa 2ème lecture du texte, le Maharal introduit un concept qu’il a déjà travaillé dans les chapitres précédents :

« L’exil et l’esclavage étaient une nécessité pour Israël Â» (153).

 

En effet, pour le Maharal, l’exil est dépendant de plusieurs paramètres expliqués dans les premiers chapitres et résumé, ici :

« Tant qu’Israël n’était pas au complet, ce qui ne devait se produire que lorsqu’il aurait atteint son effectif de soixante myriades et serait alors la propriété de D-ieu et ce qu’il avait de plus sacré, il devait rester livré, à la servitude, jusqu’à ce que D-ieu fît sortir du milieu des égyptiens, ce qui lui appartenait. C’est pourquoi, en soi, l’esclavage était normal ; la moindre peccadille suffisait pour déterminer une situation qui en soi était normale â€¦ Â» (153).

 

Il fallait, d’un côté, attendre que la famille de Jacob atteigne le nombre de 70, comme les 70 nations, pour que la descente en Égypte se réalise (voir page 149, au début du chapitre 9) et ensuite attendre qu’Israël atteigne le nombre de 600 000 pour être libéré, car c’est le chiffre parfait, par excellence. Entre deux, l’exil est également nécessaire, car il fait partie de la formation d’une famille qui doit devenir le peuple de D-ieu. Dans ces conditions, la « faute Â» est un prétexte. Si c’est ainsi, comment comprendre l’opinion des Sages présentée dans la Guémara de Nedarim ? Cependant, répétons, avec le Maharal, qu’il ne faut pas rechercher une proportion entre le péché et l’exil,

car le péché est, ici, un déclencheur, non une justification.

 

Ainsi, qu’elle est la préoccupation de Rabbi Abahou ?

Tout esclave subit l’influence de son maître. Cette soumission ne convient qu’à des êtres qui relèvent de la matière.

Lorsque l’on ne relève pas de la matière : on n’en subit pas l’influence et on ne peut être soumis à un esclavage.

 

En décidant de l’enrôlement des Sages, Abraham rompt cet équilibre et soumet à la matière, les Sages qui ont un intellect transcendant. Par cette erreur, Abraham provoque l’esclavage de ses descendants, en réparation, pour inverser la situation provoquée par Abraham et revenir au projet initial qu’Israël doit être intellect pur, ce qu’il deviendra en atteignant le nombre de 600 000 et en étant, ainsi, libéré de l’esclavage de manière extraordinaire.

 

Pour Shmouel, la faute était un manque de foi. Or :

« La foi est ce qui convenait à Abraham : car il avait été le premier croyant, dont il eût été dit (Genèse XV, 6) : Il eut foi en D-ieu et D-ieu lui compta comme un acte de justice Â» (154).

 

La foi est l’inverse de la dépendance d’autrui :

« La foi mène-t-elle à la Délivrance qui met fin à l’asservissement à autrui ? Lorsque la foi fait défaut, il y a servitude Â» (155).

 

C’est donc bien ce manque de foi d’Abraham qui est susceptible de servir de prétexte au démarrage de l’esclavage, mais cela n’en est pas pour Abraham, la cause, mais le signe d’une faiblesse. Et c’est grâce à la foi qu’Israël sera libéré d’Égypte.

 

Pour Rabbi Yo’hanan, en n’augmentant pas le nombre de prosélytes, Abraham a en quelque sorte, contribué à renforcer les notions qui s’opposaient à Israël, comme cela est expliqué en Nombres XXXIII, 55 :

« Si vous ne dépossédez pas les habitants du pays, ils deviendront des épines et des ronces à vos yeux Â».

 

L’esclavage est donc le résultat du renforcement des nations. Ce n’est qu’en atteignant le nombre de 600 000 que le mérite d’Israël sera augmenté et que celui des nations cananéennes sera diminué. On a donc là, un approfondissement de l’explication des Sages.

 

Cependant, le Maharal continue sa démarche pour expliquer le décalage entre Abraham  et sa descendance.

 

 

4 â€“ L’approche du Maharal, avec l’introduction d’un ÉlÉment de mise en perspective

 

Tout d’abord, avant de présenter son approche, il la prépare par des concepts supplémentaires qu’il présente en premier :

 

  • L’image de la racine :

« Les défauts de la racine d’une plante se remarquent extrêmement discernables sur les branches. Il ne faut pas être étonné si le péché dont les Sages ont parlé, paraît de peu d’importance. Car, c’était un péché qui grevait la racine, c’est-à-dire, Abraham et qui était dans son essence Â» (158).

 

Or, si ce défaut est dans l’essence même du peuple juif du fait de l’accroissement de la famille, il prend avec la descendance d’Abraham, une dimension beaucoup plus importante et manifeste. C’est ce défaut qui doit en fait, être traité, corrigé par le passage par l’Égypte.

 

  • La symbolique du 3 et le rang de chaque Patriarche :

« Tout ce qui est 1 est déficient et a besoin d’un complément Â» (158).

« La seule unité qui peut se suffire à elle-même, c’est celle de D-ieu. Toute dualité implique une absence d’unité Â» (159).

« Donc, la perfection ne peut pas être non plus dans le 2 qui fait ressortir les différences des deux « un Â» qui la compose.

Donc, les Patriarches ne pouvaient être ni 1, ni 2, mais 3. Avec 3, il n’y a pas de dualité, à cause du troisième élément qui vient s’ajouter aux deux autres et les unis Â» (159).

 

On comprend, dès lors, d’une part, qu’il fallait que les Patriarches soient au moins 3 pour former une unité qui puisse devenir la base du monde. De ce fait, la possession du pays ne pouvait être effective du temps d’Abraham. Il fallait donc attendre que les 3 Patriarches soient apparus pour que, atteignant le nombre de 70 semblables aux 70 nations, la famille de Jacob entame sa métamorphose en peuple qui puisse être délivré lorsqu’il atteint le nombre de 600 000 personnes.

 

Cela sous entend que dans son essence, Abraham n’était pas encore en mesure de prendre possession de la terre, car par essence, il était déficient. Quelle est la réelle nature de cette déficience ? C’est ce que le Maharal va présenter maintenant.

 

En fait, comme on vient de le voir, Abraham n’est pas le seul à avoir une déficience. Isaac également, en a une puisqu’il faut attendre la descendance de Jacob qui est parfaite, alors que pour Abraham, il y a, d’un côté Ismaël et de l’autre, Isaac qui seul hérite et pour Isaac,

il y a Esaü et Jacob qui seul, va hériter. Cette déficience vient de leur essence d’être. Ceci se retrouve dans leur attribut.

Pour Abraham, c’est le ‘Hessed, la bienveillance. Pour Isaac, c’est le Din, le jugement, et pour Jacob, c’est le Emet, la vérité.

 

Pour Abraham et Isaac :

« Ce sont des traits opposés, car la rigueur exige que l’on examine les causes en profondeur, en allant jusqu’au bout ; mais la bienveillance mérite son nom, parce qu’elle se montre moins tatillonne Â» (159).

 

Ainsi, on voit bien qu’Abraham représentant la bienveillance ne peut représenter la perfection puisqu’il lui manque la rigueur du D-ieu. Alors que Jacob, avec la vérité, va représenter un dépassement de ces deux notions :

« Car la vérité n’incline ni dans un sens, ni dans l’autre Â» (159).

 

Du coup : « Toute la descendance de Jacob fut une descendance attachée à la vérité, une descendance absolument exempte de tares,

à la différence de celle d’Abraham et d’Isaac Â» (159).

 

Pourtant, ce n’est pas là, à proprement parler, une faute ou un reproche fait à Abraham, mais une constatation. Il ne pouvait pas être à la fois, le premier et la perfection, car la perfection absolue n’appartient qu’à D-ieu. Il fallait donc qu’il ait une carence justement parce qu’il était le premier et du coup, il ne possédait pas les qualités du deuxième et du troisième Patriarche pour éviter d’être parfait.

 

Une fois cette déficience repérée par manque de rigueur et par manque d’équilibre, comme celui de la vérité, le Maharal, avec ce nouvel éclairage va relire une troisième fois, l’explication des Sages de la Guémara.

 

Le reproche de Rabbi Abahou d’avoir enrôlé les savants, vient du fait qu’en tant que premier d’une série de Patriarche et que premier d’Israël, il voulut être origine de tout et donc, imposer aux autres ses directions.

« Il s’attachait si bien à sa propriété de chef de file, qu’il voulut assurer sa domination sur les savants auxquels il imposa indûment des obligations Â» (160).

 

Si cette faute est grave, c’est parce qu’elle tient à l’essence de l’être, non parce qu’elle serait grave en soi. Cet excès d’autorité d’Abraham doit être contrôlé, afin qu’il n’y ait pas d’erreur sur la véritable origine absolue qui elle, est divine. Il est un premier relatif, non un premier absolu. L’esclavage égyptien va montrer que l’origine relative ne peut mener sans le secours de l’origine absolue à l’être et à la liberté,

à l’existence en tant que peuple de D-ieu. Par l’esclavage, la famille se transformant en peuple, va devenir le peuple de D-ieu, ce dernier devenant son sauveur et son libérateur.

 

Le reproche de Shmouel porte sur la remise en question de la crédibilité de D-ieu. Abraham n’étant pas habité par le principe de la rigueur, il ne peut concevoir que la promesse de D-ieu va s’accomplir avec toute la rigueur requise. Du coup, manquant de rigueur, lui-même,

il a besoin pour se rassurer, de demander à D-ieu des signes prouvant que la parole de D-ieu va s’accomplir.

Quant à l’opinion de Rabbi Yo’hanan faisant le reproche à Abraham de n’avoir pas fait entrer des prosélytes, elle exprime le fait qu’Abraham manquait des caractéristiques de Jacob :

« Abraham n’étant pas totalement voué à D-ieu, comme les descendants de Jacob, n’amena pas de prosélytes à la foi de D-ieu Â» (161).

 

On le comprend bien : la spécificité d’Abraham est, ici, synonyme de « déficience Â». C’est par excès de son identité ou par manque des caractéristiques de son fils et de son petit-fils qu’il pêche. Car, comme on l’a vu précédemment, les Patriarches à eux trois, forment un tout, une unité qu’un seul des membres ne peut représenter à lui seul.

 

Les Sages de la Guémara évoquent tous les trois, la même problématique, celle des manques de la perfection souhaitable, chacun sous un angle particulier :

« Chacun d’entre eux met respectivement en lumière, un élément déficient de la racine même de l’ensemble qui est comme les rameaux issus du tronc primordial défectueux Â» (161).

 

Par voie de conséquence, chacun exprime une réparation particulière par l’esclavage égyptien.

  • À la réquisition des savants pour la guerre va faire face la réquisition des Hébreux pour les corvées, selon Rabbi Abahou.

  • Aux doutes sur la justice, fait face l’oppression qui est l’application de la justice selon Shmouel.

  • À l’exclusion des prosélytes, fait face à l’issue de l’esclavage, le retour des Hébreux « sous les ailes de la Chekhinah Â», selon Rabbi Yo’hanan.

« Il est bien possible que chacun de ces Amoraïn renchérisse sur l’opinion de ses collègues, mais tous admettent, sans discussion, car cela paraît trop évident, qu’Abraham avait commis ces trois fautes, ainsi qu’il a été expliqué Â» (161).

 

Le Maharal va encore plus loin dans sa mise en relation entre les justifications de l’esclavage et les niveaux d’épreuves rapportés dans l’avance faite à Abraham que nous citions au début de cette étude : Genèse XIV, 13 : « Sache bien que tes descendants seront des étrangers dans un pays qui ne sera pas le leur : ils seront leurs esclaves et on les opprimera Â».

 

Il y a donc bien, ici, trois mises en situations réparatrices :

  • Le vécu de l’étranger

  • La servitude proprement dite.

  • Les mauvais traitements, l’oppression.

 

La mise en relation est la suivante :

  • « La situation d’étranger vient punir l’atteinte portée par Abraham au statut des savants (voir Lévitique XIX, 32 et 33) qui associe les Sages aux étrangers. L’intellect est un étranger dans ce monde matériel Â».

  • « L’annonce de l’esclavage correspond au doute qu’exprimera Abraham quant aux attributs divins et, particulièrement, à celui de la justice Â».

  • « L’abstention d’Abraham en matière de prosélytisme fut la cause des souffrances et des tourments des oppresseurs qui harcelèrent Israël Â» (162).

 

On voit donc, à travers cette étude, que bien que l’exil égyptien ne soit pas à proprement parler, une sanction des fautes d’Abraham sur sa descendance, elle n’en constitue pas moins une procédure de « correction Â» des déficiences, certes naturelles, de la jeunesse du peuple juif, afin de l’amener vers sa fonction future et sa perfection. Il s’agit donc, ici, d’une étape importante dans un processus de formation. Mais en même temps, on met le doigt, ici, sur des déficiences qui sont susceptibles de revenir et vis-à-vis desquelles, le peuple juif se doit d’être vigilent.

C’est notamment pour cela, que le rappel de l’exil égyptien est si présent dans le quotidien du juif.

 

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