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Histoires Bibliques
5/ Les degrés de la prophétie selon Maimonide

Avril 2017

 

 

Avant d’examiner de plus près, les manifestations de prophétie chez Ezéchiel,

Jérémie ou Isaïe, il nous a semblé important de faire une pause dans cette étude

pour prendre du recul et réfléchir au phénomène même de la prophétie et à sa

place dans la tradition juive.

 

Cette occasion nous est procurée par le texte de Maïmonide : à la fois, dans le

Michné Tora, dans les Lois sur les Fondements de la Tora. Il expose sa conception

de la prophétie, et à la fois, dans le Guide des Égarés où il établit, notamment,

les 11 degrés de la prophétie.

 

Bien évidemment, la position de Maïmonide n’est pas la seule, et nous aurons

plus loin, l’occasion de la confronter à celle de Yéhouda Halévy.

 

Suivons comme fil conducteur, le texte du septième chapitre des Lois sur les

Fondements de la Tora.

 

I – LA PROPHÉTIE EXISTE

« L’un des articles principaux de la religion, nous oblige à savoir que D-ieu

accorde aux hommes, le don de la prophétie. » (VII, 1).

 

Ainsi, d’emblée, Maïmonide affirme-t-il que la parole de D-ieu adressée aux

hommes, ça existe. C’est une réalité de premier ordre dans la tradition juive.

Pour un rationaliste comme Maïmonide, la prophétie n’est pas une illusion : c’est le véhicule de l’expression de la volonté du Créateur.

 

 

II – QUI PEUT ÊTRE PROPHÈTE ?

 

« L’inspiration prophétique n’échoit qu’à un homme éminent en sagesse, pleinement maître de soi, ne se laissant dominer à aucun égard par ses passions, mais, au contraire, triomphant sans cesse, grâce à sa raison, de la partie passionnelle de son être et possédant une vaste et très sûre intelligence. » (VII, 1).

 

Ainsi, pour Maïmonide, la prophétie, de manière générale n’est pas accessible à tout un chacun sans une très sérieuse préparation.

Seuls, des hommes d’exception qui, par eux-mêmes, sortent déjà du rang sont capables de devenir prophètes.

L’élévation de l’homme, de son esprit et de son corps doivent précéder la prophétie. Cette accession à la prophétie transformera et transcendera l’homme, mais au départ, il doit être prêt.

Cependant, être prêt à recevoir la prophétie ne signifie pas qu’on le devienne nécessairement, car cela dépend en fait de la volonté divine :

 

« Ce sont ces hommes qui cherchaient à se mettre en état de prophétiser que l’on nommait les fils de prophètes.

Il pouvait se faire que, malgré leurs efforts pour préparer leur entendement à la prophétie, l’Esprit Saint descendit sur eux ou non. » (VII, 5).

 

Ainsi, la prophétie n’est-elle pas une simple élévation de l’homme, mais bien le fruit d’une décision divine.

 

Pour Saadia Gaon, c’est même cette décision divine qui est primordiale, peu importe l’élévation et la sagesse de l’individu, pourvu que ce soit un homme de bonnes mœurs. Peu importe que cet homme soit savant ou pas. C’est D-ieu qui choisit celui qu’il veut rendre prophète parmi les hommes.

 

De même pour Yéhouda Halévy :

« La prophétie est un phénomène rare … Cette qualité ne s’obtient pas par la raison, mais par l’intuition qui transporte un prophète dans la catégorie des anges … Alors, le prophète en vient à aimer son Maître, étant prêt à donner sa vie en raison de son amour, puisque dans son union avec D-ieu, il trouve un bien être unique et s’attriste quand il se sépare de Lui. » (Kuzari IV, 16).

 

D’ailleurs, pour Rabbi Yéhouda Halévy, tous les juifs sont des prophètes en puissance.

On le voit entre le rationalisme de Maïmonide et celui de Saadia Gaon ; il y a bien des différences et encore plus, bien sûr, avec l’intuition de Rabbi Yéhouda Halévy.

 

III – LES DEGRÉS DE LA PROPHÉTIE

 

« Il y a une gradation entre les prophètes ; de même que dans le domaine de la sagesse, tel sage est supérieur à tel autre, de même dans celui de la prophétie, telle prophétie est située plus haut que telle autre.

Mais, tous les prophètes ne connaissent de révélation prophétique qu’en songe, en une vision nocturne ou divine, après qu’un sommeil profond s’est appesanti sur eux. » (Maïmonide – Guide des Égarés II, 45).

 

Nous reviendrons, tout de suite aux différents degrés, mais avant, il nous semble utile de préciser que tout ceci ne s’applique pas, pour Maïmonide, à Moshé Rabbénou. Et, notamment, toutes les conditions de la prophétie sont décrites, ici, à desseins par Maïmonide,

afin d’accentuer la différence qui existe entre Moïse et les autres prophètes.

 

La prophétie se fait lors d’un songe ou après un songe « Alors que Moïse avait ses inspirations dans l’état de veille et en pleine possession de ses facultés ».

« Tous les prophètes recevaient l’inspiration par l’intermédiaire d’un ange, c’est pourquoi, leur vision avait un caractère allégorique et énigmatique. Moïse, notre Maître, au contraire, se passait d’intermédiaire ».

« Tous les prophètes éprouvaient pendant leur vision, un tremblement convulsif et un trouble extrême. Moïse, non ».

« Les prophètes ne prophétisaient pas chaque fois qu’ils le voulaient, tandis que, dès qu’il le désirait, Moïse, notre Maître, était investi de l’Esprit Saint et la prophétie descendait sur lui. » (Lois sur les Fondements de la Tora VII, 6).

 

De tout ceci et du rôle primordial qu’eût Moïse dans la Révélation au Sinaï, fait qu’il apparaît comme le Prophète de référence pour tous les prophètes et qu’il est au-delà des critères de la prophétie classique et de ses degrés. Il est le père et le Maître de tous les prophètes et ne saurait donc être comparé à aucun d’eux.

 

Ces degrés sont pour Maïmonide, au nombre de 11 :

 

  • Le premier degré est celui que nous avons le plus rencontré depuis notre étude : « C’est l’esprit divin (Roua’h Éloki) qui s’attache à un homme pour lui confier une mission spécifique. C’est le niveau de prophétie le plus bas, celui que l’on rencontre chez les Juges et chez les rois, comme Shaoul. C’est le signe que D-ieu est avec eux et qu’il fait réussir leurs entreprises. Ces hommes ne prophétisent pas, à proprement parler ; ils sont plutôt inspirés par D-ieu dans le cadre de leur action ».

 

  • Le second degré, c’est celui de l’inspiration divine (Roua’h ha Kodech). « C’est D-ieu qui inspire l’homme, non pas dans le seul cadre de l’action, mais plutôt de l’expression. Ce qu’il dit n’est pas encore la parole de D-ieu, mais est inspiré par D-ieu à l’homme. C’est grâce à cette inspiration sainte que sont écrits les grands livres de la spiritualité, comme les Psaumes, les Proverbes et l’ensemble des Hagiographes ».

 

  • Avec le troisième degré, on entre dans le premier degré de la révélation. On en est encore qu’au songe. Mais, c’est déjà, un rêve prophétique, c’est-à-dire, un rêve comportant, en lui-même, son interprétation. D-ieu annonce à l’homme, par le rêve, ce qu’il a l’intention de faire et il l’explique.

 

  • Jusqu’à présent, il n’y avait pas de perception de voix. Avec ce degré, on franchit un nouveau palier important : celui du Dialogue. Cette voix n’est, bien sûr, pas celle de D-ieu. Le Créateur s’adresse à l’homme à travers le timbre de voix d’un parent ou d’un ami. C’est ainsi, que le jeune Samuel croit reconnaître la voix du Grand Prêtre Héli et que Moïse reconnaît la voix de son père.

 

  • Dans le cinquième degré, pour la première fois, la voix se trouve associée à l’image. C’est le cas pour Ezéchiel qui perçoit « Un homme, dont l’aspect était pareil à l’aspect de l’airain, avec un cordeau de lin dans la main et une corne à mesurer », avant de lui décrire par le menu, les dimensions et l’agencement du Temple.

 

  • C’est la perception d’un ange qui s’adresse au prophète pour lui transmettre un message de la part de D-ieu. C’est la situation générale de la plupart des prophètes que l’on trouve dans le texte biblique.

 

  • Après la perception de l’ange, c’est le sentiment d’avoir entendu la voix de D-ieu, comme ce fut le cas pour Isaïe.

 

  • Alors que le songe se déroule la nuit, la vision prophétique, elle, peut avoir lieu en plein jour. On n’est plus dans l’univers onirique. Le sentiment d’accéder à une révélation dans le cadre d’une vision prophétique. C’est l’exemple d’Abraham dans la vision entre les morceaux qui, ressent la présence de D-ieu à travers le feu qui passe entre les morceaux et le dévore, tout en percevant la voix de D-ieu qui s’adresse à lui pour lui annoncer que sa descendance sera exilée dans une terre étrangère et que ce n’est qu’après 400 ans, qu’elle pourra revenir pour prendre possession de sa terre.

 

  • Entendre des paroles dans une vision, c’est l’instauration d’un dialogue entre D-ieu et l’homme. L’exemple est celui d’Abraham qui échange avec D-ieu sur sa postérité. Cette scène se situe juste avant l’offrande des animaux découpés que nous venons d’évoquer.

 

  • Lorsque dans une vision prophétique, il voit un personnage qui lui parle, c’est l’exemple de cet ange ressemblant à un homme, qui lui annonce la naissance d’un fils et le projet de destruction des Villes de Sodome et Gomorrhe.

 

  • Lorsque dans une vision, il voit un ange qui lui parle, c’est l’exemple du bras d’Abraham arrêté par un ange au moment du sacrifice d’Isaac.

 

On a donc bien, ici, une progression dans la proximité de D-ieu. Cela ne correspond d’ailleurs pas forcément à des individus différents.

Le même personnage peut évoluer dans la prophétie, comme on le voit, notamment, pour Abraham.

 

 

IV – L’IDENTIFICATION DU PROPHÈTE

 

La plupart du temps, il n’y a pas de témoin direct de la réalité de cette révélation. Ainsi, se pose d’emblée la question de l’identification du vrai prophète par rapport au faux prophète. D’emblée, Maïmonide nous met en garde :

« Il ne faut pas considérer comme prophète, quiconque à accomplir un signe ou un prodige. Mais, lorsqu’un homme, dont on sait depuis toujours, qu’il est apte à la prophétie eu égard à sa science et à sa pratique par lesquelles, il surpasse tous les hommes de sa génération, qu’il foule les voies de la prophétie dans la sanctification et la retraite, vient ensuite, faire un signe en affirmant que c’est D-ieu qui l’envoie, on a l’obligation de lui ajouter, foi en vertu du verset : « C’est lui que vous écouterez. » (Exode 34, 29-35) » (VII, 7).

 

Ainsi, d’emblée, le vrai prophète n’est ni un inconnu, ni le premier venu. C’est une personne qui était en quelque sorte prophète en puissance, qui devient prophète en acte, aussi faut-il l’écouter et le suivre, non pas, parce qu’il fait des miracles, mais parce qu’il est digne de notre confiance. Le miracle ne pouvant constituer une clause d’authenticité.

 

Le référent absolu dans ce domaine reste la prophétie de Moïse et, c’est avant tout, par rapport à cette prophétie que pourra être validé ou non, le prophète :

 

« C’est pourquoi, si un prophète surgit et accomplit de grands signes et prodigues tout en cherchant à démentir, le message prophétique de Moïse, notre Maître, en infirmant sa Loi, nous ne l’écoutons pas (voir Deutéronome XIII, 2-5), car nous savons, alors, à l’évidence que ces signes ont été obtenus par les charmes et les prestiges de la magie. En effet, l’authenticité de la mission prophétique de Moïse n’était pas fonction de signes, de sorte qu’il soit admissible d’accorder une importance comparable aux signes produits par Moïse et à ceux du prétendu prophète, mais, c’est à nos yeux qu’elle fut manifestée, ce sont nos oreilles qui l’ont constatée en entendant le message comme Moïse l’entendit, lui-même. » (VIII, 3).

 

En effet, le faux prophète peut être en mesure de faire des miracles et il n’y a pas lieu de les contester. Ce qui compte, c’est l’adéquation de sa parole à celle de Moïse. Car, elle sert de référence depuis le Mont Sinaï et qu’elle est hors norme, donc incomparable.

 

 

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