top of page

D-ieu, un peu, beaucoup, passionnément...

Les nuits du savoir - Février 2013 - Collège des Bernardins

 

 

Aimer D-ieu, cela semble aller de soi pour un croyant.

Certes, pour certains, c’est un aboutissement, pour d’autres, un pré-requis.

Mais à y regarder de plus près, cela semble plus complexe.

 

Comment répondre à une obligation d’aimer ? Les sentiments peuvent-ils se commander ?

D’ailleurs, la Bible ne nous demande pas d’aimer nos parents ; cela n’est pas réaliste,

mais bien de les respecter et de les honorer. Alors, pourquoi nous demander d’aimer D-ieu ?

Aimer, habituellement, est relié à quelque chose d’agréable.

Dans ces conditions, comment aimer D-ieu lorsque l’on a le sentiment que tout va mal,

que l’on est dans la souffrance, dans le malheur ? Qui devons-nous aimer ? D-ieu !

Mais comment aimer une abstraction ?

De quoi parle-t-on ?

 

Pour Maïmonide, dans le Sefer Hamitsvot (P3) :

« Nous devons approfondir les commandements qu’Il nous a prescrits et Ses œuvres,

afin de nous élever vers Lui et que nous nous délections de cette élévation, car c’en est le but ».

 

Ainsi, aimer D-ieu veut dire en être proche et se réjouir de cette proximité par la qualité de l’élévation spirituelle qu’elle procure.

Étudier ne serait-il qu’un moyen pour aimer D-ieu ? Mais, le Talmud (Kidouchin 40b) nous dit qu’il faut étudier en vu d’agir !

 

La procédure pour atteindre ce sentiment est décrite, ainsi, par Maïmonide (Hilkhot Yessodé Hatora II, 8) :

« Lorsque l’homme considère les œuvres et les créatures de D-ieu, merveilleuses et grandes, lorsqu’il y aperçoit la sagesse divine, incomparable et infinie, il se sent aussitôt envahi d’un sentiment d’amour, il loue et il célèbre. Animé d’une passion extrême, il brûle de connaître ce D-ieu sublime, il s’écrit avec David : « Mon âme a soif de l’Éternel, du D-ieu vivant » (Psaumes XVII, 3) ».

 

Le commandement d’aimer D-ieu ne sollicite donc pas d’emblée, un sentiment. Comment le pourrait-il ? Mais, il invite l’homme à mettre en œuvre les moyens pour atteindre, ou du moins, pour tendre vers cet amour de D-ieu. Celui-ci est censé résulter, pour Maïmonide, d’une connaissance approfondie de l’œuvre de D-ieu et de sa sagesse, découverte par l’analyse de son action dans le monde et par l’étude de sa parole dans le texte biblique. De même, que l’on peut aimer l’artiste à travers le tableau qu’il a réalisé ou le roman qu’il a écrit.

 

L’homme doit cheminer de la crainte respectueuse vers l’amour, considéré comme le degré suprême de la proximité à D-ieu.

Mais si le processus ne s’enclenche pas. Si le « merveilleux » nous laisse indifférent ? Tout ceci, est loin d’être simple et ne va pas de soi.

 

 

Différemment de cette démarche, Rabbi Yéhouda Halévy – dans le Kouzari – considère que les concepts d’amour et de craintes ne sont pas hiérarchisés, mais juxtaposés. Ils peuvent se vivre et se ressentir de manière concomitante pour des raisons distinctes, car l’amour de l’homme pour D-ieu est la résultante de l’amour de D-ieu pour l’homme.

C’est cette prise de conscience qui, par une démarche de reconnaissance, suscite l’amour de l’homme pour son Créateur.

Celui-ci est donc bien de l’ordre du sentiment et n’est pas lié pour Rabbi Yéhouda Halévy à un raisonnement intellectuel complexe.

Mais si l’homme est englué dans sa condition matérielle, s’il est pauvre ou malade, comment être reconnaissant d’une situation subie ?

 

Enfin, s’il y a amour, il peut y avoir désamour si le partenaire n’est pas réceptif, sensible ou réactif aux marques d’amour.

Cela peut aller jusqu’à la rupture s’il y a infidélité, si l’individu se tourne vers d’autres divinités.

 

Tel quel, le concept semble mal adapté à la relation que l’on pourrait attendre entre un Créateur et sa créature, entre D-ieu et son fidèle. Mais c’est peut-être que nous avons mal compris.

 

Pour nous permettre de poursuivre cette réflexion, je vous propose de retourner au texte fondateur de cet amour de D-ieu, placé dans son contexte, c’est-à-dire, en relisant également, les versets voisins.

 

On est dans le Deutéronome – Chapitre VI – Versets 4 à 7 :

4. « Écoute Israël, l’Éternel est notre D-ieu, l’Éternel est un ».

5. « Tu aimeras l’Éternel, ton D-ieu de tout ton cœur, de toute ton âme et avec tout ton pouvoir ».

6. « Que les paroles que je t’adresse aujourd’hui soient sur ton cœur ».

7. « Tu les enseigneras à tes fils et tu en parleras aussi dans ta maison, en marchant sur le chemin, à ton coucher et à ton lever ».

 

Que vient nous dire le texte ? L’amour ne va pas de soi et il n’est pas un simple sentiment ; il se concrétise à travers une action et une transmission.

Relisons :

« Écoute Israël » qui veut dire aussi « Comprends Israël » que l’Être suprême transcendant est aussi ton D-ieu, c’est-à-dire, qu’il est également immanent, qu’il se préoccupe du monde des hommes et de chaque homme, même si on ne comprend pas toujours comment. Que ce D-ieu là est unique en son genre et qu’il n’y en a pas d’autre.

 

Si je comprends cela, quel que soit mon niveau de compréhension, parce que je comprends autant avec mon intellect qu’avec ma sensibilité, alors la conséquence, c’est que je serai capable d’aimer D-ieu. Je ne peux l’aimer que si je comprends ce qu’il est pour moi. Cette proximité, dite en Hébreu, « Devékout » n’est pas une fin en soi, n’est pas un sentiment sentimental, c’est l’éveil de l’âme spirituelle dans sa proximité avec la source de spiritualité qu’est D-ieu. Cette proximité doit donc se concrétiser par des actes qui sont de trois ordres : le partage, le style de vie et la transmission.

 

Si on a compris qui est D-ieu, par amour pour D-ieu, on doit être prêt à donner tout l’avoir matériel que l’on a, notre vie lui appartient, car elle est un cadeau de sa part. Cette proximité suscite le choix de devenir son partenaire dans l’œuvre de la Création. Cela se concrétise par le 2ème élément.

 

Le style de vie : car notre vie doit être organisée en tenant compte de cette proximité avec D-ieu ; c’est cela faire en sorte que les paroles soient sur notre cœur.

 

La transmission : parce que lorsque l’on aime, on a envie de transmettre ses valeurs, ses attachements. On a tendance à en parler à tout moment et à tout le monde.

 

Aimer D-ieu, ce n’est donc pas pour la tradition juive, s’isoler du monde dans la contemplation ou la béatitude.

Aimer D-ieu, c’est vivre pleinement sa vie d’homme en tenant compte en permanence du Créateur.

C’est avoir conscience que cette proximité transforme, transcende notre vie parce qu’elle l’élève au-dessus des simples contingences matérielles.

 

Mais, pour que tout ceci fonctionne, il nous faut expliciter un concept : celui de la proximité, la « devékout ».

En effet, celle-ci n’est possible que parce que dès le départ, il y a chez l’homme, les conditions propices à ce rapprochement.

C’est l’idée qui est exprimée à travers l’idée que l’homme est créé à la « ressemblance » de D-ieu. Bien sûr, cette « ressemblance » ne peut être physique, ne peut être visible. Cette ressemblance, c’est la capacité donnée à l’homme, d’accéder à la spiritualité.

 

Aimer D-ieu un peu, beaucoup, passionnément, mais pas à la folie, c’est agir dans le monde pour défendre la valeur de cette expérience de la proximité, non plus, d’une abstraction, mais d’un être qui sait se faire proche, alors qu’il est tout Autre.

 

 

 

Si l’homme peut aimer D-ieu, c’est parce qu’i reconnaît dans cette source spirituelle, sa propre spiritualité.

L’adhésion se fait par similitude. Aimer D-ieu ne vient pas de l’extérieur de l’homme. L’émerveillement de l’homme face au spectacle du monde n’est que le reflet de l’émerveillement intérieur de l’homme face à la spiritualité divine.

 

Aimer D-ieu, c’est en reconnaître une parcelle en soi. C’est l’accueillir en soi. Le véritable Temple, c’est faire que D-ieu puisse résider en soi, à partir de soi. C’est ce que nous enseigne le texte : « Afin que je réside à l’intérieur d’eux » (Exode XXV, 8), sous entendu,

« À l’intérieur de chacun d’eux ».

 

Aimer D-ieu, c’est se sentir si proche de Lui que cette proximité nous rend rayonnant autour de nous, que l’on a envie d’en parler, de transmettre cette expérience à nos enfants et que l’on est prêt à tout partager avec notre partenaire divin.

bottom of page