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Le Couple : Une histoire à construire à deux
3/ L'amour dure t-il plus de 3 ans ?
Octobre 2018

 

 

Pour les neurobiologistes, comme Lucy Vincent,

auteure de plusieurs ouvrages sur le phénomène amoureux comme :

« Comment devient-on amoureux ? Â» (Odile Jacob, 2006) ou

« Petits arrangements avec l’amour Â» (Odile Jacob, 2005),

l’amour des romantiques correspond au niveau corporel à une sorte d’alchimie.

Elle écrit, ainsi : « La programmation du comportement amoureux modifie l’activité

dans certaines zones du cerveau. Ces zones vont, peu à peu, se désensibiliser,

même si ces mécanismes hormonaux, comme ceux de l’ocytocine tempèrent le processus.

Progressivement, l’activité du cerveau reprend son cours normal,

débarrassée de l’excitation de la période amoureuse Â».

Ainsi, les effets de l’endomorphine qui provoque le comportement passionnel

s’estompent progressivement.

 

La durée de trois ans est liée au temps nécessaire à l’enfant issu de l’union amoureuse pour commencer à être indépendant.

D’où ce concept moderne, dans sa vulgarisation, que l’amour dure trois ans. Que l’amour romantique ne dure pas toute la vie,

on en avait bien conscience. Alors, comment faire ? Faut-il se désespérer et accepter cela comme une fatalité ?

 

Avant d’aborder cette question, il nous faut d’abord comprendre de quoi on parle.

De quel type d’amour parle-t-on ? Car, il va de soi, de manière empirique, qu’il y a bien différentes formes d’amour.

Donc, commençons par clarifier le champ de réflexion.

 

Selon, les philosophes grecs anciens, il y a trois termes pour désigner des catégories d’amour bien différentes : Eros, Philia, Agapé.

* Eros, c’est « L’amour qui prend Â» et l’on évoque, ainsi, la relation amoureuse classique entre un homme et une femme.

C’est pour Freud, l’expression de la libido, de la pulsion sexuelle, de l’élan vital opposé à Thanatos, la pulsion de mort.

* Philia, c’est « L’amour qui partage, autrement dit, qui prend et donne Â» ; c’est le souci de l’autre dont parle Aristote,

c’est-à-dire, l’amitié, la solidarité. C’est ce qui conduit au « vivre ensemble Â».

* Agapé, c’est « L’amour qui donne Â», c’est-à-dire, la philia poussée à l’extrême, le don sans contrepartie dans sa dimension mystique ou religieuse. C’est ce qui donne en Latin, « Caritas Â», et en Français, la charité.

 

La typologie juive est un peu différente. La Michna dans Pirkei Avot V, 16 distingue deux formes d’amour :

« Tout amour qui dépend d’une chose, que la chose disparaisse, l’amour disparaît. Mais, s’il ne dépend pas d’une chose, il ne disparaît jamais.

Qu’est-ce qu’un amour qui dépend d’une chose ? C’est l’amour d’Amnon et Tamar.

Qu’est-ce que l’amour qui ne dépend pas d’une chose ? C’est l’amour de David et Jonathan Â».

 

Si l’amour dépend d’une chose, il est désir, envie, centré sur soi et non pas sur l’autre. Cet amour ne dure pas parce que la « passion Â» n’est renforcée et développée que par le manque de l’autre, que cet autre soit un être ou un objet, cela ne change pas le processus.

Le désir est plaisir, mais il est éphémère, car dès qu’il est atteint, il n’est plus. Cette envie peut aller jusqu’à faire perdre la tête comme dans l’exemple cité par la Michna. Tamar est la sÅ“ur d’Amnon ! Après la satisfaction de cette « folie Â», l’envie disparaît et l’on est dans le temps du rejet. Bien sûr, le désir peut déclencher une envie de le retrouver, mais il est proche de l’addiction ; il n’est pas vraiment amour.

Il est pulsion de jouissance, sans possibilité de véritable assouvissement. Il utilise l’autre sans rencontre inter humaine possibe.

 

Si l’amour ne dépend pas de quelque chose, alors il est proximité. Ici, on est dans la Philia, dans la proximité amicale où on se donne et on reçoit l’un de l’autre. C’est l’exemple classique de la littérature française : celui de Montaigne et La Boétie où le premier écrit :

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi Â». C’est dans la Michna, l’exemple de l’amitié profonde entre David et Jonathan.

On n’est pas, ici, nécessairement, dans un amour sexué. Il s’agit de proximité des âmes. Pour Jacob avec son fils Benjamin :

a Bible utilise l’expression « Mon âme est attachée à son âme Â» (Genèse XLIV, 30). Ce qui fonde cet amour fraternel ou paternel,

ce n’est pas un intérêt, c’est la proximité des âmes, leur similitude. Cela entraîne une relation de partage naturel et spontané.

 

Dans cette typologie, on comprend bien que seul, le premier, Eros, serait susceptible d’être limité dans le temps, car il est passionnel.

Ni l’amitié, ni la charité n’ont de raison particulière d’être limitées à trois ans ou plus.

 

Avec l’amour du prochain, c’est parce qu’il est comme moi, un frère humain qu’on nous demande de l’aimer.

Non, d’un amour passionnel, mais d’une solidarité fraternelle. Avec l’amour de D-ieu, bien que D-ieu soit très différent de moi,

on me demande de l’aimer, car nous avons en commun, un accès à la spiritualité que les animaux n’ont pas.

C’est par la similitude qu’on devient solidaire.

 

Au-delà de ces deux formes de « Ahava Â», l’Hébreu biblique utilise encore deux autres termes : « â€˜Hiba Â» et « Yada Â».

Le premier « â€˜Hiba Â» utilisé dans le Deutéronome 33, 3 évoque l’amour protecteur de D-ieu pour son peuple.

C’est une forme d’amour qui met à l’abri pour protéger des dangers, comme l’est l’amour parental vis-à-vis des enfants.

 

La deuxième forme est évoquée dès le texte biblique de la Genèse, la première fois, à propos de Adam et Ève.

Ceci a conduit certains à considérer qu’il s’agit, ici, uniquement de la relation sexuelle qui mène à la procréation.

Or, c’est mal comprendre le concept même de connaissance dans la tradition juive.

Cela ressort de la juxtaposition des deux concepts manger et connaître à propos du fruit défendu du Jardin d’Eden.

Consommer le fruit, c’est l’intégrer à soi, le détruire pour satisfaire un besoin. Or, le risque d’Eros, c’est justement qu’il ne soit qu’une consommation de l’autre, du plaisir de l’avoir près de soi …

C’est l’amour qui prend, mais ne donne pas. On est, ici, dans l’inverse de l’amour de l’autre. On est dans l’amour de soi !

 

Qui aime-t-on vraiment, lorsque l’on croît aimer ? La réponse à cette question est fondamentale dans l’élaboration et dans le prolongement d’une relation.

Connaître, c’est respecter l’autre pour lui permettre d’exister et d’en bénéficier.

Connaître une personne, c’est accepter de lui faire de la place pour partager avec elle, du temps, des idées, des sentiments, des activités.

Si je consomme l’autre, je nie son existence. Si je consomme de la connaissance, je la détruis, alors que je dois me construire par elle,

face à elle, pour réévaluer ce que je découvre par rapport à ce que je possède. Connaître, c’est se confronter.

 

Dans l’union du couple, la vraie connaissance de l’autre est l’aboutissement d’un processus, pas son objectif égoïste.

C’est pourquoi, le mode de vie en couple alterne les formes de relation. Il y a des périodes où on est en mode frère et sÅ“ur et des périodes où on est en mode mari et femme. Cette alternance permet plusieurs choses :

* L’instauration d’un espace de paroles, lorsque l’on est frère et sœur. C’est pendant cette période que l’on se préoccupe principalement des idées, des goûts de l’autre. On se retrouve dans la situation précédant le mariage où deux personnalités doivent se rencontrer, tenter de se connaître dans la mesure du possible.

* Du même coup, la rencontre amoureuse n’est pas usée, car elle est réactivée par son absence. Or, le désir de l’autre est un des paramètres de l’attirance, sans lui laisser la place exclusive.

* Enfin, la période maritale permet l’approfondissement de la relation et son expression.

 

Par cette alternance, on a tour à tour, les différentes formes de l’amour que nous évoquions au début : Eros, Philia, Agapé.

 

On alterne des phases maritales, amicales et de dévouement l’un pour l’autre. Si l’amour peut durer plus de trois ans, c’est parce qu’il ne s’exprime pas que sur un mode pulsionnel, mais qu’en dehors de la passion, il y a aussi, l’affection, la tendresse, le plaisir d’être ensemble

et de faire des choses ensemble.

 

Connaître l’autre que l’on aime, c’est plusieurs choses à la fois :

* C’est d’une part, le rencontrer pour le connaître, puis le reconnaître. Cela nécessite donc une prise en compte de son être personnel, de son être spécifique. C’est le considérer comme une personne digne d’être connue.

* Cette connaissance doit mener à l’attention et au respect. C’est parce que l’on cherche à connaître l’autre que l’on finit par connaître ses goûts et ses valeurs et que l’on tente d’en tenir compte pour les valoriser et les respecter.

* Cette connaissance n’est possible que dans l’union authentique. L’union libre n’est pas pleine. C’est une période d’essais et l’on sait que si elle n’est pas probante, l’histoire s’arrêtera. C’est pourquoi, on a tendance à tout faire artificiellement pour prolonger la période d’essais. On n’est pas naturel, entier dans la relation et du coup, on ne peut pas se confier vraiment. Connaître, c’est savoir les forces et les faiblesses de l’autre, sans peur que l’autre en fasse mauvais usage. Seule, une relation de réciprocité vraie, nous permet d’avancer dans la relation à visage découvert.

 

Or, les neurobiologistes le confirment. Lorsque l’affection s’installe, c’est l’ocytocine qui induit un sentiment de bien-être qui lui permet de durer. On n’est plus dans la dépendance du désir, qui lui, ne dure pas ; on est dans la permanence du bien-être qui peut être le véritable amour, car il correspond, non à l’expression de notre animalité, mais à celle de notre humanité.

 

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